8/29/2016

J-B WILLERMOZ était-il chrétien ? Son jugement sur CAGLIOSTRO




Lettre de WILLERMOZ au prince Charles en date du 1er août 1785 :


« CAGLIOSTRO est un maçon de l’espèce la plus dangereuse, avec le nom de Dieu à la bouche et dans toutes les phrases. ».

VAN RIJNBERK : Cagliostro dans les lettres de WILLERMOZ, Paris  Initiation et Science (revue), Omnium Littéraire Ed,  N° 13.


Mémoire de J. de Maistre - FM et Révolution Française FRANC-MAÇONNERIE ET RÉVOLUTION FRANÇAISE (i) UN TEXTE INEDIT DE JOSEPH DE MAISTRE




 Le mémoire inédit que nous publions ici a été écrit par Joseph de Maistre en pleine Révolution, à une époque où divers auteurs commençaient à se demander quel rôle la Maçonnerie avait pu jouer dans la grande tragédie, mais dépassait parfois le but, faute de nuances, de sens critique et de sûre information. L'ancien grand dignitaire du rite écossais qu'était Maistre, défendait sa propre activité et ses amis, mais reconnaissait le râle louche de certains autres « frères ». 
 Ce texte montre la complexité et l'originalité de la pensée maistrienne et le danger des conclusions hâtives dans l'un ou l'autre sens à ce sujet. M, G. Goyau a d'ailleurs magistralement démontré l'an dernier que Joseph de Maistre n'a jamais cessé d'être un catholique pratiquant, convaincu et très orthodoxe. Les textes inédits qu'il a utilisés seront prochainement publiés in extenso. On verra alors, sans contestation possible qu'il n'y a. rien à cacher et que le loyalisme religieux le plus susceptible n'y saurait trouver rien à redire. Bien, au contraire, — et par une ironie savoureuse, — ce sont précisément les documents mêmes qui montrent les rapports entretenus par l'auteur du Pape avec les illuminés et les francs-maçons de son temps qui, comme l'a dit M. Goyau, nous apportent a la preuve décisive qu'en aucune période de sa vie l'attachement de Maistre à la révélation chrétienne ne s'est démenti ». L'étude de ces documents précieux que la bienveillance éclairée du comité Rodolphe de Maistre nous a permis de faire — ce dont nous ne saurions trop le remercier — nous a conduit aux mêmes conclusions à ce sujet que\ les héritiers de l'auteur des Soirées de Saint-Pétersbourg- et que l'éminent historien catholique qui en a parlé avant nous. Nous nous sommes efforcé d'antre part, dans un ouvrage qui sera prochainement publié sur « le mysticisme de Joseph de Maistre », de montrer quel profit nous pouvons aujourd'hui encore tirer de la spéculation maistrienne. Aussi bien les œuvres déjà connues de cet auteur permettent-elles de voir qu'aux doctrines des illuminés et des martinistes du xvm" siècle il a su prendre ce qu'elles avaient de bon qu'il a su concilier avec l'orthodoxie catholique la. plus stricte et qui lui a servi, non pas à ébranler ou à regarder de haut la révélation traditionnelle, comme le font généralement les théùsophes d'aujourd'hui, mais à scruter celle-ci, à l'approfondir, à l'éclairer, à la montrer, plus belle et plus convaincante que ne le croient ses adversaires. Bien loin d'être un politicien qui se servirait de l'Eglise comme d'un simple instrument de conservation sociale au, profit de buts purement terrestres, Maistre met la foi au-dessus de tout, nous apparaît avant tout comme un croyant et même comme un mystique. Voici d'ailleurs un mémoire inédit qui, joint aux textes donnés par M. Goyau dans sa belle étude sur la pensée religieuse de Joseph de Maistre, et en attendant les autres, prouve bien que celui-ci n'a jamais été, — quelle que soit l'audace de ses vues souvent prophétiques, — un anticlérical ou un révolutionnaire. On verra, non seulement quelle différence il convient de faire entre la maçonnerie d'alors et celle d'aujourd'hui, mais aussi que Maistre ne voyait dans les sociétés secrètes qu'un moyen de hâter la réunion des Eglises schismatiques et protestantes à l'Eglise romaine et de travailler « à l'avancement du christianisme ». Emile DERMENGHEM.
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(i) « Remis le 3o avril 1793 », dit le Journal inédit ou livre de raison «Je Joseph de Maistre

 Vous me demandez avec instance, mon cher baron1, quelques notices sur la Franc-Maçonnerie, nommément sur celle die Savoie. Séparé de mes livres et de mes papiers, je ne puis être fort exact surtout sur les dates ; mais c'est ce qui importe le moins. Je ne vous dirai pas tout ce que je voudrais ; mais ce que je vous dirai sera rigoureuse ment vrai. La Franc-Maçonnerie fut apportée en Savoie par le marquis de Bellegarde, père du marquis de Bellegarde, dernier mort. La loge instituée à Chambéry portait le nom des Trois Mortiers (1). Ce fut la mère de toutes les autres loges de province. C'était purement une société de plaisir dont le gouvernement n'avait absolument rien à craindre. Au commencement elle réunit tout ce qu'il y avait de plus distingué à Chambéry. Ensuite elle déclina, comme il arrive à toutes les institutions humaines. Il y eut des brouilleries ; on expulsa quelques membres qui constituèrent de leur chef une seconde loge appelée la Parfaite Union. Longtemps on l'appela loge bâtarde, mais ensuite, «Ile se fit constituer régulièrement par la Grande Loge de France ; elle demeura cependant toujours en dehors de l'autre par la qualité des personnes. La loge des Trois Mortiers établit une loge à Turin, laquelle mit de l'orgueil à ne plus dépendre de Chambéry. Elle profita donc du sommeil de la loge de Savoie, et se fit constituer à son tour Grande Loge, par celle d'Angleterre. Il y eut, à cet égard, quelques discussions qui n'ont pas eu de suite. Les choses ont demeuré dans cet état pendant trente ou quarante ans, et vous pouvez être assuré, mon chier ami, qu'il n'y avait absolument rien de mauvais dans cette institution et qu'il n'y était surtout aucunement question de religion ni de politique. II y a douze ans, plus ou moins, que le baron de Wehler apporta d'Allemagne en France ce qu'on appelle la Réforme, et le Chef-lieu fut établi à Lyon. Plusieurs Français avaient sans doute d'anciennes relations en Allemagne et connaissaient probablement le nouveau Régime ; mais il était totalement ignoré en Savoie. (i)

(1)Joseph de Maistre faisait partie de cette loge dès avant 1774. A cette date il y a les titres de Grand Orateur et de Substitut des généraux et Maître symbolique. Il en fit partie jusqu'en 1778. 

Dès que le nouvel établissement eut pris de la consistance à Lyon, les francs-maçons de cette ville projetèrent d'établir une loge semblable à Chambéry. Ils entrèrent donc en négociation au moyen d'une personne de confiance qui connaissait les deux villes. On fit des propositions, et enfin sept personnes seulement dont trois gentilshommes furent choisis, pour être les chefs et les! fondateurs de la Réforme ; et même, quatre seulement dont trois gentilshommes, eurent la confiance pleine et définitive de Lyon. Ces quatre personnes firent successivement le voyage de Lyon pour s'instruire à la source. Deux d'entre elles y sont même retournées d'autres fois. Quant à l'institution de la loge simple, elle ne souffrait point de difficulté. Elle fut établie sous le nom de la Parfaite Sincérité (1). On admit ce qu'il y avait de mieux dans la loge des Trois Mortiers, qui, se trouvant par ce moyen presque anéantie par le fait, en conçut un grand ressentiment, d'autant plus que le choix était une espèce d'insulte pour ce qu'on-

 (i) C'est le 4 septembre 1778 que Maistre passa à la loge réformée écossaise de la Sincérité, qui dépend du Directoire écossais de la deuxième province d'Auvergne (Lyon), dont l'âme est J.-B. Willermoz, disciple de Martinez de Pasqually. II prend le nom de Josephus a Floribus. II fait partie, comme nous le voyons, d'un groupe très secret d'initiés supérieurs qui semblent avoir des connaissances plus profondes et un rôle plus important que les maçons ordinaires de la loge, manœuvres par eux plus ou moins mystérieusement. Le Collège métropolitain de France (Lyon), centre de l'écossisme, avait en effet placé dans les préfectures de Chambéry, de Turin et de Naples, des Collèges particuliers formés par une classe secrète de chevaliers grands-profès. Le Collège de Chambéry, fondé en 1779, comprenait seulement quatre grands profès, chevaliers maçons bienfaisants de la cité sainte, « dont trois gentilshommes » ayant « la confiance pleine et indéfinie de Lyon ». Ces quatre initiés supérieurs qui « firent successivement le voyage de Lyon pour s'instruire à la source », n'étaient autre que : Hippolyte, chevalier de Ville (a Castro) sénateur, président du Collège; — Marc Rivoire aîné, bourgeois (a Leone alto), dépositaire; — Joseph, comte Maistre (0 Floribus) avocat général au Sénat de Savoie et substitut; — Jean-Baptiste, comte Salteur (a Cane), son ami et collègue au Sénat. .— Joseph de Maistre, on le voit, joua un rôle actif dans la Maçonnerie pendant au moins dix-sept ans (jusqu'en 1791); et, dès l'âge de 29 ans (1782, date du tableau des Grands Profès), probablement même de 26 (1779, date de la fondation du Collège de Chambéry), il était parvenu aux grades les plus élevés du rite écossais et du martinisme.

 avait laissé. Elle résolut en conséquence de ne plus communiquer avec les francs-maçons réformés et prononça contre leur loge une excommunication maçonnique. La loge de la Réforme se distingua d'abord aux yeux du public par plusieurs caractères extérieurs : d'abord par la qualité des personnes qui formèrent ce qu'on appellerait aujourd'hui une loge aristocrate, car elle était réellement composée de tout ce qu'il y avait de mieux à Chambéry dans toutes les classes. 2° Ses aumônes firent grande impression ; elles étaient régulières, abondantes et bien placées : on en vit une de 59 louis dans une occasion intéressante. 3e La sobriété dans les repas, et le respect pour les lois de l'abstinence firent aussi une certaine sensation. La société s'étant vue dans le cas de donner à souper à des étrangers, un jour de jeûne, on servit une collation de vingt-cinq ou trente couverts, sans y admettre aucun mets contraire à la loi. Cette classe de francs-maçons (1) s'étendit rapidement dans les principales .contrées de l'Europe. Elle reconnaissait pour supérieur général S. A. S. Mgr le prince de Brunswick, dernier mort. Le défaut de correspondances et la suppression totale de la franc-maçonnerie par les raisons qu'on dira plus bas, ont empêché de connaître son successeur. Il y avait donc trois loges à Chambéry et trois espèces de franc-maçonnerie : 1° la Réforme (Parfaite Sincérité), dépendante de Brunswick ; 2° les Trois Mortiers, dépendante d'Angleterre, mais qui était tombée dans un grand discrédit, et dont l'Angleterre n'a jamais ouï parler ; 3o la Parfaite Union, dépendante de France ou, pour parler jexactement, du Grand Orient de Paris, présidé par le duc de Chartres, depuis l'infâme duc d'Orléans (2) qui probablement commence aujourd'hui son supplice dans les prisons de Marseille. Au reste, rien de plus innocent que cette affiliation -r elle fut faite il y a plus de dix ans et dans un moment où Dieu seul savait ce qui devait se passer en France. En 1788 (à peu près) (3) sept particuliers de Chambéry, artistes ou particuliers, recoururent à une loge de France (je ne sais plus laquelle) pour se faire constituer en loge régulière à Chambéry, nous le nom des Sept Amis. La loge de France, avant de répondre, consulta la loge de  

(1)   La réforme écossaise. (2) Philippe-Egalité. (3) 1786 exactement

la Réforme à Chambéry, qui ne goûta pas du tout ce nouvel établissement. On y fut d'avis que la franc-maçonneriie n'étant point sous l'inspection des lois et n'ayant d'autre! soutien que l'honneur et les sentiments de ceux qui la composaient, si on livrait cette institution aux classes trop peu élevées de la société, il arriverait infailliblement qu'elle finirait par tomber dans les classes infimes, et que ses sociétés ne manqueraient pas de se faire connaître un beau jour par quelque insigne polissonnerie. Cependant, Comme il en coûte toujours infiniment d'insulter par écrit, voici quelle fut la réponse curieuse de la loge réformée. Elle se contenta de dire laconiquement « qu'aucun des frères de la Sincérité ne pouvant connaître aucun des Sept Amis, ils n'étaient pas dans le cas de donner aucune instruction sur leur compte ». Si les Français avaient eu du bon sens, il y en avait assez pour faire rejeter la demande ; et ceux qui avaient répondu n'en doutaient pas. Cependant il en arriva tout autrement : la loge fut constituée sous le titre des Sept Amis, et entra tout de suite en correspondance avec Paris. Ainsi il y eut quatre loges : Parfaite sincérité : (Brunswick. Trois Mortiers : Angleterre ou rien. , Parfaite Union : Grand Orient de Paris. Sept Amis : Grand Orient de Paris. Au nombre des personnes qui composaient cette dernière loge se trouvait le nommé Debri, orfèvre, homme fort connu par sa démocratie, et qui est devenu depuis la Révolution un des principaux clubistes. Il a fort été question de lui dans les procédures qui ont été faites en 1792 contre les démocrates de Chambéry. Cependant il n'a jamais été convaincu de rien, car le gouvernement ne fut jamais assez instruit parce qu'un décret fatal de la Providence l'avait jeté dans une mauvaise route. Le Roi se rappellerait sûrement, si on lui en parlait, que le grand inquisiteur ayant chicané, il y a quelques années, un orfèvre qui avait travaillé des bijoux pour la loge Réformée de Turin, la chose vint aux oreilles de Sa Majesté, qu'à cette occasion on ne fit nulle difficulté de lui montrer quelques papiers et même de lui déclinefi les noms des personnes qui la composaient. Elle put se Convaincre par Jà que tous ces noms étaient au-dessus du Soupçon. Lorsque les troubles de France commencèrent malheureusement à ébranler la Savoie, la loge de Chambéry (je parle toujours! de la Réformée) pensa que tout rassemblement quelconque pouvait, dans ce temps de crise, donner de l'ombrage au gouvernement. En: conséquence, elle résolut d'elle-même de ne plus s'assembler. Et l'on avait réellement cessé de s'assembler, lorsque les craintes du Roi, sur ces sortes d'établissements lui parvinrent, si je ne me trompe dans l'été de 1791. Vous me faites encore beaucoup de questions, mon cher ami, sur le but de ces associations, sur les loges de régiment, sur les listes imprimées des noms de frères), etc. Commençons par les objets moins importants. De tout temps, il y a eu des loges dans les régiments, ambulantes comme ces corps, et qui devaient même dans les règles, payer un léger tribut à la mère loge. Mais ce devoir ne s'observait guère. Vous pouvez être sûr que Ces loges étaient parfaitement innocentes. Elles avaient le droit de : recevoir aux trois premiers grades. Mais souvent aussi les militaires étaient reçus à Turin ou à Chambéry, dans les loges principales. Le choix de ces loges dépendait du hasard et des liaisons de chaque officier. S'il était lié avec un membre de la loge des Trois Mortiers, il y était Conduit. Mais le choix était presque nécessairement entre cette loge et celle des Réformés ; car la première, quoique beaucoup moins bien composée, comptait toujours parmi ses membres beaucoup de gens comme il faut de l'ancien régime. Mais celle de l'Union était toute .bourgeoise et celle des Sept Amis, encore plus bourgeoise, s'il est permis de s'exprimer ainsi, de manière qu'il n'était pas trop possible que les relations d'un officier le conduisissent là. Les tableaux imprimés sont une chose toute simple. 11 y avait souvent des imprimeurs dans l'une de ces loges, «t les membres même les plus prudents ne croyaient pas qu'il y eût du mal à imprimer de simples noms en colonnes, pas plus qu'à imprimer des billets de visite. D'ailleurs les presses de France auraient assez suppléé à celles de Savoie. On se servait volontiers de l'impression pour soulager la main des secrétaires. Comme c'était! unie politesse de la part d'une loge d'envoyer son tableau à une autre, les copies manuscrites devenaient excessivement fatigantes. Quant aux instructions, codes et rites, tout cela était imprimé en France, du moins pour la loge Réformée. Le Roi a dû en voir quelque chose dans l'occasion que j'ai notée plus haut. Personne n'a vu des pièces imprimées, dans les autres loges du moins, rien que de très insignifiant. L'Egalité dont je me rappelle que vous m'avez parlé une fois, comme d'une chose alarmante, ne signifiait absolument rien. Elle n'était que dans les mots. Il est même bien remarquable que dans les tableaux les titres n'étaient jamais omis, ni même dans le discours ; car, "dans toutes les loges, on disait : « Frère, marquis ou comte Un Tel ! » Mais, lorsque les mots de Liberté et d'Egalité sont devenus le point de ralliement et le signal de factieux en délire, il n'est pas étonnant que les gouvernements se soient alarmés sur le compte d'une société cachée qui professe l'égalité. Cette égalité se réduisait à Chambéry à une fréquentation mutuelle (en corps bien entendu). Ainsi, par exemple, la loge Réformée, à l'époque de certaines, fêtes, priait quelques membres de l'Union ou des Sept Amis, qui venaient assister aux cérémonies et au souper. Réciproquement des membres de la Réforme répondaient quelquefois aux invitations des deux dernières ; mais rarement, du moins quant aux gentilshommes. Les bourgeois y allaient plus souvent. Du reste toute cette Frérie n'influait exactement point sur la distinction des états dans la société. Il est infiniment probable que la franc-maçonnerie de France a servi à la Révolution ; non point, à ce que je pense, comme franc-maçonnerie, mais comme association de clubs (1). Les quatre cinquièmes des gens qui les composaient étaient des révolutionnaires. Ils se trouvaient rassemblés. Leur Chef (1) était à la tête de la Révolution; il est assez naturel qu'il se soit servi de. cette association pour favoriser ses vues, et que les loges françaises se soient converties en clubs. Mais sur cet article, je ne puis rien vous affirmer positivement, car je n'ai rien vu. On aurait assez vu si le Roi (2) l'avait voulu. De savoir ensuite si les deux loges bourgeoises ont été tâtées par celle de France pour entrer dans la Révolution, c'est une question très délicate, sur laquelle il n'est guère possible de répondre quelque chose de plausible. 

(i) Ce point est très important. Chose curieuse, on notera que le point de vue de Maistre sur les rapports de la Maçonnerie et de la Révolution se rapproche fort de celui ingénieusement exposé récemment par le regretté M. A. Cochin, dans son livre sur les Sociétés de Pensée. (1) Philippe-Egalité. (2) Le roi de Sardaigne

Je crois cependant pouvoir vous assurer que la masse, le corps des loges n'ont été jamais tentés. Cette démarche aurait été trop imprudente. Quant aux individus, la loge des Sept Amis surtout, en comptait plusieurs de très mauvais. Il est possible que les Français se soient adressés à eux. Mais je ne vois pas ce que tout cela aurait de commun avec la franc-maçonnerie en général qui date de plusieurs siècles, et qui n'a certainement, dans son principe, rien de commun avec la Révolution française. Si le Roi n'avait pas été servi par des sots sur ce point, comme sur tous les autres, il était bien aisé de se servir de la loge Réformée pour inspecter les autres et découvrir bien des choses. Mais le système fatal de la peur et de la défiance générale ayant prévalu, les bons sujets, paralysés par le soupçon, se contentèrent de gémir ; les méchants agirent à leur aise et le Roi ne sut jamais rien. Quant à l'origine et au but général de la franc-maçonnerie, tout ce que je puis vous dire, c'est qu'on n'est pas d'accord là-dessus. En 1782, le prince de Brunswick assembla, à Wilhemsbad, une espèce de Concile général composé des députés de toutes les provinces, pour faire ensemble des recherches sur ce point intéressant. Chambéry fut invité ainsi que Turin. Cette dernière ville envoya ison député ; mais la première donna ses pouvoirs à un (Lyonnais (1). Toute assemblée d'hommes dont le Saint-Esprit ne se mêle pas, ne fait rien de bon. On ne voit pas que celle de Wilhemsbad ait produit rien d'utile. Chacun s'en retourna avec ses préjugés (2). Je me rappelle avoir ouï dire à vous-même que la Maçonnerie, suivant quelques sociétés, n'était qu'une continuation cachée de l'ordre des Templiers, et que, suivant d'autres, elle était un reste de l'ancienne initiation égyp 

(1) Savaron (a Solibus), ami de Willermoz. — C'est à l'occasion du Convent de Wilhemsbad que Maistre rédigea l'un de ses premiers écrits, le très intéressant Mémoire inédit ou duc de Brunswich, analysé par M. Goyau l'an dernier et que nous publierons bientôt intégralement. (2) Le convent de Wilhemsbad en effet, après avoir marqué un certain accroissement de la prospérité des loges écossaises de la Stricte Observance engendra une scission entre les maçons à tendances mystiques (martinistes français et piétistes allemands) qui y avaient plutôt triomphé, et ceux à tendances rationalistes qui s'allièrent secrètement aux Illuminés Bavarois de Weishanpt, lesquels étaient nettement irréligieux et révolutionnaires.
 
tienne et grecque. Voilà déjà, comme vous voyez, deux sentiments bien opposés. En général il faut que vous sachiez que sur les trois premiers grades de la franc-maçonnerie dont il n'y a personne, qui n'ait ouï parler sous le nom d'apprenti, compagnon, et maître, toutes les loges sont d'accord; Ce sont partout les mêmes cérémonies. Mais ces grades sont purement symboliques et ne peuvent faire ombrage à personne. Ce sont purement, comme je vous l'ai dit, des sociétés de plaisirs honnêtes, embellies par quelques actes de bienfaisance. Après ces trois grades les sociétés se divisent sur ceux qui suivent. Il y en plus ici et moins là ; et l'on vous donnera par exemple, dans la loge des Trois Mortiers, un grade qui est rejeté dans celle de la Réforme. Mais ces grades supérieurs mêmes sont allégoriques comme les premiers. Il peut se faire que ces grades soient la représentation] d'objets réels connus de l'antiquité, et qui ne le sont plus de nous. ,11 peut se faire encore qu'après ces grades symboliques un très petit nombre d'individus possède ou croie posséder les connaissances dignes d'occuper un homme sage et vertueux et qui sont aussi parfaitement inconnues du reste de la société que de vous qui n'en êtes pas. Ce que je puis vous assurer c'est que dans les loges même de Savoie, les plus soupçonnées, il n'existe pas le moindre signe qui annonce un but politique dans le principe. Et quant à la loge de la Réforme, je puis vous l'affirmer sur tout ce qu'il y a de plus sacré. Je vous ai dit ce que je pense sur la France1 qui a let merveilleux paient, dans tout ce qu'elle reçoit de l'étranger, de rendre le bon mauvais et le mauvais détestable. Quant à l'Allemagne, pour vous en parler comme il faut, je devrais vous faire un livre et non une lettre. Ce pays est couvert de sociétés secrètes et de loges. Je crois que les unes sont bonnes, les autres indifférentes, et les troisièmes mauvaises. Je dis mauvaises dans un sens tout différent de ce que vous pourriez imaginer. Il peut se faire aussi qu'il y en ait de politiquement mauvaise^ ; mais je n'en ai pas connaissance. Lisez ce que le comte de Mirabeau a écrit sur ces sociétés secrètes dans sa Monarchie Prussienne, en observant seulement que ce qu'il blâme est bon, et ce qu'il loue, mauvais ; du moins, c'est l'impression générale qui me reste de cet ouvrage que je n'ai pas lu depuis longtemps. M. de Bonneville (1), cité avec éloge par Mirabeau, et qui est devenu révolutionnaire à ce que je crois, a fait un mortel ouvrage sur la franc-maçonnerie, dans lequel il prétend établir que cette société n'est autre chose que le Jésuitisme caché, et il tâche de plier à cette idée tous les emblèmes de l'ordre. Pour faire des recherches approfondies sur ces matières, il faut absolument savoir l'allemand, attendu que les livres qui paraissent dans ce pays sur ces sortes1 de sujets ne sont jamais traduits, par la raison qu'ils sont trop étrangers taux idées vulgaires. Il est aussi sûr qu'extraordinaire que dans le moment OÙ le (scepticisme paraît avoir éteint dans toute l'Europe .les vérités religieuses, il s'élève de tous côtés des sociétés qui n'ont d'autre but et d'autre occupation que • l'étude de la Religion. Une autre chose fort extraordinaire et non moins vraie, c'est que dans toute l'Allemagne protestante, une foule de des spéculateurs penchent .au catholicisme (2) ; en sorte que, dans ces contrées, on accuse un homme de catholicisme comme on accuse un homme parmi nous d'être esprit fort. Le fameux Lavater, de Zurich, composa, il y a quelques années, une hymne à Jésus-Christ en vers allemands admirables, qui fit un très grand bruit en Allemagne, parce qu'elle fut trouvée entièrement catholique. Dans l'assemblée générale de Wilhemsbad, dont je vous parlais tout à l'heure, il arriva qu'un dimanche, à l'heure de la messe, on avait entamé une discussion intéressant(e. Les catholiques voulurent lever la séance, pour aller à la messe. Les protestants étaient fâchés de cette interruption ; biais le prince de Brunswick, luthérien, prit la parole et dit en propres termes : « II faut laisser aller les, frères catholiques, parce qu'il y a dans leur culte "quelque chose de plus substantiel que dans le nôtre) qui ne leur permet pas, comme à nous, de se dispenser du Service divin. » 

(1) Nicolas de Bonneville, Député aux Etats-généraux, auteur de pamphlets révolutionnaires et de l'ouvrage : Les Jésuites chassés de la maçonnerie et leur poignard brisé par les maçons; Londres, 1782, 2 vol. in-8" Le premier volume traite de la maçonnerie écossaise et des Templiers. (2) Ceci est très intéressant. On voit que Maistre considère la Franc-Maçonnerie et la Théosophie en général comme des moyens d'amener les protestants et les incrédules au catholicisme.
 
Un ministre de l'Eglise de Prusse avait composé un gros volume in-4° sur Explication de la messe. Il fut traduit en jugement pour ce livre, et il dit pour sa défense!, qu'il ne l'avait pas composé pour les protestants mais pour les catholiques. Mirabeau s'emporte contre ce ministre dans sa Monarchie Prussienne avec un sérieux! Tout à fait comique. Vous avez beaucoup ouï parler des Martinistes. On croit communément que cette secte tire son nom de M. de Saint-Martin, auteur de plusieurs livres très connus par ceux qui se mêlent de ces sortes de connaissances ; mais on se trompe. Les Martinistes tiennent ce nom d'un personnage extraordinaire italien ou espagnol qui est allé mourir en Amérique et qui s'appelait Martino Pasquali (1). M. de Saint-Martin est un gentilhomme français de trente-cinq à quarante ans, de mœurs fort douces et infiniment aimable. Je le connais (2). On n'aperçoit rien d'extraordinaire dans ses manières ni dans sa conversation. Ses ouvrages sont : 1° Les Erreurs et la Vérité ; 2° Tableau naturel des Rapports qui 'existent entre Dieu, l'homme, et l'univers ; 3° L'homme de désir ; 4° Le nouvel homme ; 5° L’Ecce Homo ; 6° Le manuel de Xepholius. Vous ne comprendrez rien à tous ces livres excepté qu'ils ont pour base générale un certain christianisme exalté, appelé en Allemagne christianisme transcendant. En Angleterre, en Suède, en Allemagne, etc., des sociétés innombrables s'occupent de ces objets et il n'est pas douteux que plusieurs loges de francs-maçons allemands n'ont pas d'autre but intérieur, sans préjudice du but extérieur de bienfaisance, d'agrément et de sociabilité. Je pourrais, mon cher baron, vous citer des anecdotes qui vous feraient sentir combien il se passe1 de choses: ignorées des gouvernements ; mais cette lettre est déjà énorme. Tout ce que je puis ajouter, c'est que je ne croirais point inutile d'envoyer en Allemagne une personne intelligente et dont on serait sûr, dans le but unique de faire des Recherches sur les différentes sociétés mystérieuses de de pays iet de rapporter sur cet article tous les renseignements nécessaires, en lui donnant néanmoins tout autre but apparent et extérieur

 (1) Martinez de Pasqually, mystérieux étranger, initiateur de Claude de Saint-Martin et de Willermoz, fonda le rite des élus cohens. Il était plutôt un thaumaturge, mystique beaucoup moins pur, semble-i-il, que le Philosophe Inconnu. (2) Maistre l'avait en effet vu personnellement à Chambéry en 1787

Tous les voyages ne sont pas aussi bien placés que le serait celui-là, dans ma manière de penser. C'est tout ce que je puis vous dfre. Faites de tout ceci l'usage que vous dictera la prudence. Je vous embrasse de tout mon cœur. P.-S. — Vous me parliez encore de Swedenborg, de Cagliostro, du Mesmérisme, etc. (1). Je vous demande pardon : ceci nous mènerait trop loin. Je me rappelle dans ce moment une anecdote singulière .qui vous étonnera et que rien ne m'empêche (2) de vous dire. C'est que la loge de Lausanne où vous êtes, est en correspondance avec celle de Constantinople ' q^ii est composée de Turcs. Ceci est plus extraordinaire qu'on ne peut l'imaginer (3). Joseph DE MAISTRE. 

(1) Les registres inédits de J. de Maistre gardent la trace des études très complètes qu'il a faites en ces matières. II voyait notamment en Swedenborg, un « honnête homme », dans les livres duquel on avait pillé la théorie du magnétisme. « Dans cette science, notait Maistre, tout lui appartient. » (Mélanges A, p. 544.) (2) On remarquera, en effet, que, malgré l'intérêt des détails donnés dans ce mémoire, son auteur n'a pas manqué à son serment de garder le secret maçonnique. (3) Sur le rôle maçonnique de Joseph de Maistre Cf. outre l'ouvrage de M. Goyau, les intéressantes études de M. Vermale sur Joseph de Maistre inconnu.

La Connaissance  3° année N° 25,  mai- juin 1922

8/12/2016

Un site consacré à Maryse CHOISY





Un site  remarquable,  digne de cette femme d’exception,  fondatrice notamment des colloques de l’Alliance Mondiale des Religions auxquels participaient notamment le Cardinal Jean DANIELOU et le Dr Hubert LARCHER 

8/08/2016

Lettre des Églises de LYON et de VIENNE aux Églises d’ASIE et de PHRYGIE (l’an de J.C. 177).



1- Les serviteurs du Christ qui habitent à Vienne et à Lyon, en Gaule, aux frères d’Asie et de Phrygie qui partagent notre foi et notre espérance dans la rédemption : paix, grâce et honneur au nom de Dieu le Père, et de Jésus-Christ, notre Seigneur.
 
2- La violence de la persécution a été telle, la fureur des païens contre les saints et les souffrances endurées par les bienheureux martyrs ont été si véhémentes que nous ne saurions les décrire exactement et qu’il est impossible d’en faire un récit complet.
 
3- À la vérité, l’Ennemi a frappé de toutes ses forces ; il préludait déjà aux violences de son règne futur. Il utilisa tous les moyens pour entraîner et exercer ses suppôts aux attaques contre les serviteurs de Dieu : non seulement les lieux publics, les thermes et l’agora nous étaient interdits, mais de façon générale, il nous était défendu de nous montrer en public.
 
4- La grâce de Dieu luttait cependant avec nous ; elle soutenait les faibles, elle opposait au Méchant les plus vaillants, inébranlables comme des colonnes, afin de concentrer sur eux tout l’effort du Maudit. Ceux-là marchaient à l’ennemi, subissaient outrages et tourments ; peu leur importait : ils allaient rejoindre le Christ. Par leur exemple ils montraient que «les souffrances du temps présent ne sont rien comparées à la gloire qui doit se manifester en nous».
 
5- Et d’abord, ils supportèrent noblement tous les outrages que la foule entière leur infligeait à tous : clameurs, coups, arrestations, pillages, lapidation, détention et tout ce qu’une populace déchaînée prodigue d’ordinaire à des ennemis détestés. Puis ils furent amenés sur la place publique. Interrogés devant toute la foule par le tribun et les magistrats de la ville, ils confessèrent leur foi. On les enferma tous ensemble dans la prison jusqu’au retour du gouverneur.
 
6- Plus tard, ils comparurent devant le gouverneur, qui usa de toute sa cruauté habituelle contre nous. Vettius Épagathus, un des frères, avait atteint toute la perfection de l’amour de Dieu et du prochain ; malgré sa jeunesse, sa sainteté méritait l’éloge départi au vieux Zacharie : «il suivait tous les commandements et observances du Seigneur», irréprochable, toujours disposé à rendre service au prochain, brûlant de zèle pour Dieu, tout bouillant de l’Esprit-Saint. 

7- Avec une telle nature, Vettius ne put se contenir devant le déroulement inique du procès qu’on nous faisait. Saisi d’indignation, il demanda de pouvoir prendre la défense des frères et de prouver qu’ils n’étaient ni athées, ni impies. Les gens qui entouraient le tribunal se mirent à vociférer contre lui (car il était de grande famille). 

8- Le gouverneur rejeta sa requête, pourtant légale, et lui demanda s’il était chrétien lui aussi. Vettius, d’une voix éclatante, confessa sa foi ; il fut arrêté lui aussi et promu au rang des martyrs. 

9- Il s’était présenté en paraclet (ou avocat) des chrétiens, car il portait réellement en lui le Paraclet, l’Esprit de Zacharie. Il le prouva par la plénitude de la charité avec laquelle il défendit ses frères, au prix de sa propre vie. Il était et il continue d’être un vrai disciple du Christ, il suit l’Agneau partout où il va.
 
10- Cette épreuve fit la discrimination des autres chrétiens. Les uns se révélèrent entièrement prêts pour le martyre ; avec empressement, ils confessèrent leur foi ; d’autres, par contre, se trouvèrent n’être ni préparés, ni entraînés, ni suffisamment aguerris pour soutenir un combat violent. Ils faiblirent au nombre de dix environ. 

11- Ils nous causèrent une grande tristesse, une cruelle douleur ; ils brisaient l’ardeur des autres qui n’avaient pas été arrêtés, mais parvenaient au prix de mille dangers à soutenir les martyrs au lieu de se tenir à l’écart.
 
12- Nous tous, alors, nous étions angoissés parce que leur confession de la foi demeurait incertaine ; non que nous redoutions les tortures infligées, mais nos yeux étaient fixés sur la fin ; nous avions peur que quelqu’un vienne à tomber.
 
1- Pendant ce temps, on arrêtait tout le jour les chrétiens dignes de ce nom ; ils comblaient les vides laissés par les défections. On réunit ainsi en prison les éléments les plus actifs des deux Églises (de Lyon et de Vienne), ceux qui en étaient les piliers. 

2- On arrêta aussi quelques païens qui étaient au service des nôtres ; car le gouverneur, au nom de l’État, avait ordonné de nous rechercher tous. Ces serviteurs tombèrent dans le piège du démon. 

3- Épouvantés par les tortures qu’ils voyaient infliger aux saints, excités par-dessus le marché par les soldats, ils nous calomnièrent, nous accusant faussement de festins de Thyeste, d’incestes à la façon d’Oedipe, et d’autres crimes tels qu’il nous est interdit d’en parler ou d’y songer, ou même de croire que pareille chose soit possible chez les hommes.
 
4- Ces calomnies rendirent les gens féroces comme des fauves contre nous.
 
5- Ceux qui, pour des raisons de parenté, s’étaient montrés modérés jusque-là s’indignaient à présent contre nous et grinçaient des dents. La parole de notre Seigneur s’accomplissait : «L’heure viendra où quiconque viendra vous faire mourir et se figurera rendre un culte à Dieu».
 
1- Dès lors, les saints martyrs eurent à subir des tortures indescriptibles ; Satan s’acharnait sur eux, afin de leur arracher une parole blasphématoire. 

2- La fureur du peuple, du gouvernement, des soldats s’exerça avec une violence particulière contre Sanctus, le diacre de Vienne ; contre Maturus, récemment baptisé, mais généreux athlète ; contre Attale, originaire de Pergame, qui avait toujours été la colonne d’appui des chrétiens d’ici ; enfin contre Blandine.
 
3- En Blandine, le Christ donna cet enseignement : ce qui aux yeux des hommes est méprisable, vil et laid, Dieu peut le juger digne d’une grande gloire, à cause de l’amour qu’on lui porte, l’amour qui s’exprime dans les actes et ne se satisfait pas de vaines apparences.
 
4- Nous avions tous peur pour Blandine. Sa maîtresse selon la chair, qui faisait partie du groupe des martyrs, une athlète de la foi, redoutait que la jeune fille ne pût même pas affirmer franchement sa profession de chrétienne, tellement elle était chétive. 

5- Mais Blandine se trouva remplie d’une telle force, qu’elle finit par épuiser et lasser les bourreaux. Ceux-ci se relayaient du matin jusqu’au soir pour la torturer par tous les moyens : ils durent s’avouer vaincus et à bout de ressources. 

6- Ils s’étonnaient qu’elle respirât encore, avec le corps déchiré et meurtri. Ils avouaient qu’une seule de leurs tortures suffisait pour enlever la vie ; à plus forte raison ces tortures-là, et en si grand nombre. 

7- Au contraire, la bienheureuse rajeunissait comme un vaillant athlète, au cours de la confession de sa foi. Il lui suffisait de répéter «Je suis chrétienne, et chez nous, il ne se fait point de mal», et elle reprenait des forces, se reposait et devenait insensible aux tortures.
 
8- Sanctus, lui aussi, supportait avec une vigueur surhumaine tous les supplices que les bourreaux pouvaient imaginer. 

9- Les impies ne désespéraient pas de lui arracher par la longueur et l’horreur des tourments une parole coupable ; mais il leur opposa une énergie indomptable. On ne put lui faire dire ni son nom, ni sa nation et sa ville d’origine, ni s’il était esclave ou libre. 

10- À toutes les questions il répondait en latin : «Je suis chrétien». C’était là son nom, sa cité, sa race, son tout ; les païens ne purent lui arracher d’autre réponse. Cela suffit pour échauffer gouverneur et bourreaux contre lui. 

11- À bout de tortures, on finit par lui appliquer des lamelles d’airain chauffées à blanc sur les parties les plus sensibles du corps. Tandis que les membres brûlaient, Sanctus tenait bon, sans fléchir ni plier ; il persévérait à confesser sa foi, baigné et fortifié par la source céleste d’eau vive qui jaillit du sein de Jésus. 

12- Le corps du martyr témoignait des tortures endurées ; il n’était plus que plaie et meurtrissure, il était tout disloqué et n’avait plus forme humaine. Le Christ souffrait en lui et le glorifiait grandement en mettant le Diable en échec ; il manifestait, pour l’exemple des autres, qu’il n’est plus de crainte où règne l’amour du Père, qu’il n’est plus de souffrance où rayonne la gloire du Christ.
 
1- Quelques jours plus tard, les bourreaux torturèrent de nouveau le martyr ; toutes les parties de son corps étaient à nouveau tuméfiées et enflammées ; ils pensaient le réduire en lui appliquant les mêmes tortures, puisqu’il ne pouvait même pas supporter le simple contact des mains. 

2- Au pis-aller, il mourrait dans les tourments, et son exemple remplirait les autres d’épouvante. Il n’en fut rien ; bien plus, contre toute attente, le corps du martyr se remit, se redressa dans les nouvelles tortures et recouvra, avec sa forme première, l’usage de ses membres. 

3- Loin d’être une peine, le nouveau supplice fut pour Sanctus une guérison par la grâce du Christ.
 
4- Une femme, nommée Biblis, était du nombre de ceux qui avaient apostasié ; le démon croyait déjà la tenir mais il voulut assurer mieux encore sa condamnation, en la poussant au blasphème. 

5- Il la fit donc conduire à la question, pour la forcer de confirmer ses impiétés, qu’on nous imputait. Jusque-là, elle s’était montrée faible et lâche. Mais une fois à la torture, elle revint à elle, et sortit comme d’un profond sommeil. 

6- Le supplice qu’elle endurait lui rappela le châtiment éternel de l’enfer. Elle osa contredire en face les blasphémateurs, en répondant : «Comment voulez-vous qu’ils mangent des enfants, ces gens qui refusent le sang des bêtes sans raison ?» 

7- À partir de ce moment elle s’avoua chrétienne et partagea le sort des martyrs.
 
8- De la sorte, les supplices des tyrans n’eurent pas raison de la résistance des bienheureux, grâce à l’intervention du Christ. 

9- Le Diable imagina donc de nouvelles machinations : l’entassement des confesseurs dans des cachots obscurs et malsains, l’écartèlement des pieds et des ceps jusqu’au cinquième trou, et les autres cruautés que les geôliers, possédés du démon, imaginent pour faire souffrir leurs prisonniers au point que la plupart des chrétiens moururent étouffés, ceux du moins que le Seigneur voulut faire partir ainsi, pour manifester sa gloire. 

10- D’autres avaient été si cruellement torturés qu’ils semblaient ne pouvoir survivre en dépit de tous les soins ; ils résistèrent pourtant dans la prison : privés de tout secours humain, mais réconfortés par Dieu, ils recouvraient la force du corps et de l’âme, encourageaient et soutenaient leurs compagnons.

11- Enfin, les derniers arrêtés, dont le corps n’était pas encore entraîné à la torture, ne supportèrent pas l’horrible entassement dans la prison ; ils y moururent.
 
1- Le bienheureux Pothin, qui gouvernait comme évêque de l’Église de Lyon, avait alors plus de quatre-vingt-dix ans. Sa santé était fort ébranlée, il respirait difficilement, tout son corps était usé, mais il était réconforté par le souffle de l’Esprit, parce qu’il aspirait au martyre. 

2- À son tour il fut traîné au tribunal. Son corps était miné par l’âge et la maladie, mais l’âme veillait en lui, afin de lui assurer le triomphe du Christ. 

3- Les soldats le conduisirent, accompagnés des notables de la ville et d’une foule qui hurlait comme s’il était le Christ en personne. 

4- Le vieillard rendit un magnifique témoignage. Le gouverneur lui demanda quel était le Dieu des chrétiens. L’évêque lui répondit : «Tu le sauras quand tu en seras digne».
 
5- Sur quoi, on le traîna brutalement et on le roua de coups. Ceux qui pouvaient l’approcher, le frappaient des poings et des pieds, sans égard pour son âge ; les autres lui jetèrent ce qui leur tombait sous la main. 

6- Tous auraient cru commettre une faute grave d’impiété en n’outrageant pas le malheureux : ils croyaient ainsi défendre leurs dieux. Il respirait à peine quand il fut ramené en prison. Deux jours plus tard, il rendit l’âme.
 
1- Alors Dieu intervint, et Jésus manifesta son infinie miséricorde comme rarement cela était arrivé dans la communauté des frères, mais comme il convenait à la sagesse du Christ. 

2- Ceux qui avaient renié leur foi dès leur arrestation partageaient les souffrances et le cachot des martyrs. Leur apostasie ne leur avait été d’aucune utilité. 

3- Les confesseurs de la foi étaient incarcérés comme chrétiens, sans qu’on portât contre eux aucune autre accusation. Les autres étaient retenus sous l’inculpation d’homicide et de monstrueuses forfaitures. 

4- Ils étaient doublement punis par rapport à leurs compagnons. Les confesseurs trouvaient leur réconfort dans la joie du martyre, l’espérance des béatitudes promises, l’amour pour le Christ, l’Esprit du Père. 

5- Les apostats, par contre, étaient torturés dans leur conscience, au point qu’on les reconnaissait au passage, entre tous les autres, à leur visage. Les confesseurs s’avançaient pleins d’allégresse, le visage illuminé de gloire et de grâce. 

6- Il n’est pas jusqu’à leurs chaînes qui semblaient une parure magnifique, comme celle d’une fiancée dans sa robe aux franges brodées d’or. Ils exhalaient au passage la bonne odeur du Christ, si bien que plusieurs se demandaient s’ils n’étaient point parfumés.
 
7- Les renégats marchaient la tête basse, humiliés, repoussants, avec toutes sortes de difformités. Les païens eux-mêmes les traitaient de misérables et de lâches ; ils étaient accusés maintenant d’homicide ; ils avaient perdu le nom souverainement honorable, glorieux et vivifiant de chrétiens.
 
8- À ce spectacle les autres étaient affermis. Ceux que l’on arrêtait encore confessaient leur foi aussitôt, n’ayant même plus l’idée d’écouter les suggestions du démon.
 
1- Après toutes ces épreuves, les confesseurs sortirent de ce monde par diverses formes de martyre. 

2- Avec des fleurs de toute espèce et de toute couleur, ils tressèrent une couronne unique qu’ils offrirent au Père. Comme il convenait, les valeureux athlètes, après de nombreux combats et des triomphes éclatants, obtinrent la glorieuse couronne de l’immortalité.
 
3- Maturus, Sanctus, Blandine et Attale furent donc conduits aux fauves dans l’amphithéâtre pour offrir au peuple et à la confédération des cités, un spectacle d’inhumanité. 

4- Ce jour-là, on donna exprès, à cause des nôtres, des combats entre fauves.
 
5- Maturus et Sanctus subirent à nouveau dans l’amphithéâtre toute la série des tortures, comme s’ils n’avaient rien souffert auparavant ; ou plutôt, comme s’ils avaient repoussé l’Adversaire dans plusieurs engagements partiels, ils allaient maintenant lutter pour la couronne. 

6- Ils eurent à endurer à nouveau les coups de fouet, les morsures des fauves qui les traînaient sur le sable et tout ce que le caprice d’une foule déchaînée pouvait réclamer par ses cris. Enfin, ce fut le supplice du siège de fer rougi, où les corps en brûlant dégageaient autour d’eux une odeur de graisse. 

7- Loin de s’apaiser, la fureur des païens ne faisait qu’augmenter : ils voulaient vaincre la résistance des martyrs. On ne put rien arracher à Sanctus, sinon les mots qu’il répétait depuis le début de sa confession (Je suis chrétien). 

8- Pour en finir avec les deux martyrs dont la vie soutenait depuis très longtemps une si haute lutte, on les égorgea. Pendant tout ce jour, ils avaient remplacé les scènes variées des gladiateurs et servi de spectacle au monde.
 
9- Blandine, pendant ce temps, était suspendue à un poteau, pour être la proie des fauves lancés contre elle. La vue de la vierge ainsi crucifiée, qui ne cessait de prier d’une voix forte, affermissait les frères qui livraient bataille. 

10- Au fort du combat, les frères croyaient apercevoir des yeux du corps, en leur sœur, le Christ crucifié pour eux, crucifié afin d’assurer les croyants que, quiconque souffrirait pour la gloire du Christ, vivrait éternellement dans la communion du Dieu vivant.
 
11- Aucune des bêtes, ce jour-là, ne toucha Blandine. 

12- On la détacha donc du poteau, et on la ramena en prison. On la réservait pour un nouveau combat. 

13- La victoire remportée dans de nombreuses épreuves devait rendre définitive et inévitable la défaite du perfide serpent et affermir les frères par son exemple. 

14- Menue, faible, méprisée, elle était revêtue de la force du Christ, le grand et invincible athlète ; elle avait à de nombreuses reprises repoussé l’Adversaire, et remporté dans un combat définitif, la couronne de l’immortalité.
 
15- À grands cris, la foule réclama le supplice d’Attale (toute la ville le connaissait). Il entra dans l’arène, prêt pour la lutte, fort du témoignage de sa conscience ; il s’était entraîné par la pratique de la discipline chrétienne et n’avait cessé d’être, parmi nous, le témoin de la vérité. 

16- Il dut faire le tour de l’amphithéâtre avec un écriteau où on lisait en latin : «Celui-ci est Attale, le chrétien». Le peuple écumait de rage contre lui. Mais le gouverneur, apprenant qu’il était citoyen romain, ordonna de le ramener en prison avec les autres. Il écrivit là-dessus à César et attendit la réponse impériale.
 
17- Cet ajournement ne fut pas inutile pour les prisonniers, ni même sans résultat. Par la patience des confesseurs se manifesta la miséricorde infinie du Christ. 

18- Les vivants communiquèrent leur vie aux morts, et les confesseurs leur grâce aux non-martyrs. Grande fut la joie de la vierge-mère, l’Église : ceux qu’elle avait rejetés comme morts, elle les retrouvait vivants. 

19- Grâce aux confesseurs, le plus grand nombre des apostats revinrent ; ils furent conçus de nouveau, reprirent vie, et s’entraînèrent à confesser leur foi. 

20- Ils étaient bien vivants et raffermis quand ils se présentèrent au tribunal. Dieu qui ne veut pas la mort de pécheur, mais sa conversion, les soutenait quand ils s’avancèrent pour être interrogés à nouveau par le gouverneur.
 
1- César avait ordonné par le rescrit de frapper les obstinés mais de libérer ceux qui reniaient. Le jour de la panégyrie (qui est très fréquentée et attire du monde de partout) venait de commencer. 

2- Le gouverneur fit amener les prisonniers à son tribunal : la mise en scène théâtrale, organisée pour la circonstance, devait servir de spectacle pour les foules. Après un nouvel interrogatoire, il fit trancher la tête à tous ceux qui étaient citoyens romains, les autres furent condamnés aux fauves.
 
3- Ceux qui auparavant avaient renié, furent le sujet d’une grande gloire pour le Christ ; maintenant contre l’attente des païens, ils confessèrent leur foi. 

4- On les interrogeait à part, en leur promettant la liberté, mais ils se déclarèrent chrétiens ; ils furent joints au groupe des martyrs. Seuls restèrent hors de l’Église ceux chez qui il n’y eut jamais trace de foi, ni respect de la robe nuptiale, ni sens de la crainte de Dieu. 

5- Par leur volte-face, ces fils de la perdition blasphémaient contre les voies de la Vérité. Tous les autres revinrent à l’Église.
 
6- À leur interrogatoire assista un certain Alexandre. Il était Phrygien d’origine, médecin de profession ; il vivait depuis de longues années dans les Gaules. Il était connu de presque tout le monde pour son amour de Dieu et la franchise de sa parole (il avait même le charisme de l’apostolat). 

7- Or donc, il se trouvait, ce jour-là, près du tribunal ; de ses gestes il encourageait les prévenus à confesser leur foi ; aux gens qui entouraient le tribunal, il donnait l’impression d’enfanter à la foi ces apostats de la veille. 

8- La foule s’irritait d’entendre les renégats se rétracter : avec force cris elle rendait responsable Alexandre. Le gouverneur le fit comparaître, il lui demanda qui il était. Il se déclara chrétien. Furieux, le gouverneur le condamna aux fauves.
 
9- Le lendemain, Alexandre fit son entrée dans l’arène avec Attale. Le gouverneur, pour flatter la foule, livra de nouveau Attale aux fauves. 

10- Tous deux subirent toute la série des tortures inventées pour les supplices de l’amphithéâtre ; après une âpre lutte, ils furent égorgés à leur tour. Alexandre ne fit entendre ni gémissement, ni parole : recueilli en son cœur, il s’entretenait avec Dieu. 

11- Attale fut placé sur le siège de fer rougi. Comme il brûlait tout autour et que son corps exhalait une odeur de graisse, il dit à la foule en latin : «Vraiment, c’est manger de l’homme, ce que vous faites. Nous, nous ne mangeons pas d’hommes, et nous ne faisons rien de mal». 

12- Quelqu’un lui demanda le nom de Dieu. Il répondit : «Dieu n’a pas de nom comme un homme».
 
1- Après toutes ces exécutions, le dernier jour des combats singuliers, Blandine fut produite de nouveau dans l’arène avec un jeune garçon de quinze ans appelé Ponticus. 

2- Chaque jour, on les avait conduits à l’amphithéâtre, afin qu’ils soient témoins des supplices de leurs frères. On voulait les contraindre à jurer par les idoles. 

3- Comme ils demeuraient inébranlables et méprisaient les faux dieux, la foule finit par se déchaîner contre eux, sans compassion pour l’âge du garçon, sans pudeur à l’endroit de la jeune femme. 

4- On leur infligea toutes les tortures, on les fit passer par tout le cycle des supplices. Et toujours on essaya de les faire jurer, mais ils s’y refusaient. Ponticus était soutenu par sa sœur chrétienne ; les païens le voyaient bien, c’était elle qui le stimulait et lui donnait courage. 

5- Quand il eut subi vaillamment toutes les tortures, Ponticus rendit l’âme.
 
6- La bienheureuse Blandine resta la dernière de tous. Comme cette noble mère qui jadis avait exhorté ses enfants et les avait envoyés victorieux devant le roi, elle subit à son tour toutes les luttes de ses enfants spirituels, pressée de les rejoindre. 

7- Elle était heureuse et enthousiaste de son prochain départ, comme une invitée qui se rend à un festin de noces, plutôt qu’une victime jetée aux fauves.
 
8- Après les fouets, après les fauves, après la chaise de feu, on l’enferma dans un filet pour la livrer à un taureau. À plusieurs reprises, elle fut lancée en l’air par l’animal. 

9- Mais elle ne sentait plus rien de ce qui lui arrivait : tout entière à son espérance, aux biens promis, à sa foi, elle continuait le dialogue avec le Christ. 

10- On finit par l’égorger, elle aussi. Les païens eux-mêmes durent avouer que jamais femme chez eux n’avait subi de si cruels et de si nombreux tourments.
 
1- Mais tout cela ne suffisait pas à rassasier la fureur folle et inhumaine contre les saints. 

2- Excités par la bête brutale, ces tribus sauvages et barbares s’apaisaient difficilement : leur rage allait s’assouvir cette fois sur les cadavres des martyrs. 

3- La honte et la défaite ne les désarmèrent point, tant ils semblaient incapables de sentiments humains ; elles enflammaient au contraire leur colère, comme chez un fauve. 

4- Gouverneur et peuple nous montraient une même injustice, comme pour accomplir la parole de l’Écriture : «L’injustice continue d’être injuste, et le juste de pratiquer la justice».
 
5- On jeta à la curée les restes des confesseurs, étouffés dans la prison ; nuit et jour on montait la garde pour nous empêcher de les ensevelir. 

6- On exposa même ce que feu et fauves avaient épargné, des lambeaux de chair, des membres carbonisés. De ceux qui furent décapités, on laissa sans sépulture les têtes et les corps tronqués sous la garde de soldats, pendant de longs jours.
 
7- Parmi les païens, les uns frémissaient et grinçaient des dents contre les martyrs ; ils cherchaient à leur infliger quelque châtiment plus terrible encore. 

8- D’autres raillaient et ricanaient, ils rendaient gloire à leurs idoles en leur attribuant le châtiment des confesseurs. 

9- D’autres enfin étaient plus équitables ; ils disaient avec pitié et ironie : «Où est leur Dieu ? À quoi leur a servi cette religion qu’ils ont préférée à la vie ?» Telle était la bigarrure des propos et des attitudes chez les païens.
 
10- Nous ressentions cependant une grande peine de ne pouvoir confier leurs corps à la terre. Nous ne pouvions pas profiter de la nuit ni séduire les gardes à prix d’argent ou par nos prières. Ils prenaient toutes leurs précautions, comme s’ils avaient grand intérêt à les laisser sans sépulture.
 
11- Les corps des martyrs subirent tous les outrages et demeurèrent exposés pendant six jours. Ils furent ensuite brûlés et réduits en cendres que les scélérats jetèrent dans le Rhône qui coule près de là, pour effacer jusqu’à leur trace sur la terre. 

12- Les païens croyaient ainsi triompher de Dieu et priver les martyrs de la résurrection (des corps).  

13- «Il faut, disaient-ils, enlever à ces hommes jusqu’à l’espoir de la résurrection. À cause de cette croyance, ils introduisent chez nous une religion nouvelle et étrangère, méprisent les tortures et courent joyeusement à la mort. Voyons maintenant s’ils ressuscitent, si leur Dieu est à même de les secourir et de les arracher à nos mains».
 
14- Tous ces confesseurs s’évertuaient à imiter le Christ «qui était de condition divine et ne s’est pas prévalu de son égalité avec Dieu». 

15- Ils rayonnaient d’une grande gloire, eux qui, non pas une fois, ni même deux, mais bien plus souvent, avaient confessé leur foi et furent ramassés sous les fauves ; ils portaient des stigmates, des brûlures, des morsures, des plaies couvraient leurs corps. 

16- Et pourtant ils ne se disaient pas martyrs et n’admettaient pas davantage que d’autres leur attribuassent ce titre. Ils reprenaient vivement ceux qui dans une lettre ou de vive voix osaient les appeler ainsi. 

17- Ils réservaient volontiers ce titre au Christ, le martyr fidèle et véritable, le premier-né d’entre les morts, qui initie à la vie de Dieu. Ils faisaient mémoire de ceux qui avaient déjà donné leur sang : «Ceux-là, disaient-ils, sont de vrais martyrs, que le Christ a jugés dignes de le confesser ; Il a comme scellé leur martyre par la mort. 

18- Pour nous, nous ne sommes que de modestes et d’indignes confesseurs». Au milieu des larmes, ils conjuraient leurs frères, afin qu’ils prient sans cesse pour leur persévérance finale.
 
19- Ils prouvaient leur valeur de martyr à l’œuvre, en manifestant une grande liberté à l’égard de tous les païens, en témoignant de leur noblesse par leur courage qui excluait la peur et la timidité. 

20- Ils refusaient le titre de martyr que leurs frères leur attribuaient déjà ; mais ils étaient remplis de la crainte de Dieu. Ils s’humiliaient sous la main puissante de Dieu qui les a maintenant glorifiés. 

21- Ils excusaient les autres et ne condamnaient personne. Ils déliaient chacun et ne liaient aucun. Ils priaient pour leurs bourreaux comme Étienne, le premier martyr : «Seigneur ne leur impute pas ce crime».

A Christ seul soit la Gloire

Source :  http://levigilant.com/documents/epitre_eglise_lyon.html