4/24/2011

Elie Steel-Maret

Jean Saunier
« Elie Steel-Maret » et le renouveau des études sur la Franc-
Maçonnerie illuministe à la fin du XIXe siècle
In: Revue de l'histoire des religions, tome 182 n°1, 1972. pp. 53-81.
Résumé
Sous le pseudonyme d'Elie Steel-Maret, deux jeunes hommes, Gervais-Annet Bouchet, libraire et chiromancien, et le Dr Marius
Boccard, plus tard député, publièrent à Lyon, en 1893, les "Archives secrètes de la Franc-Maçonnerie" qui reproduisent de
nombreux documents tirés des archives de Jean-Baptiste Willermoz, qui étaient alors complètement oubliées. Cette étude,
fondée sur des correspondances inédites, met au point la biographie et la bibliographie de ces deux personnages et définit leurs
rapports avec les francs-maçons, et plus généralement les occultistes de leur temps, au premier rang desquels se trouve le Dr
Gérard Encausse (Papus).
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Saunier Jean. « Elie Steel-Maret » et le renouveau des études sur la Franc-Maçonnerie illuministe à la fin du XIXe siècle. In:
Revue de l'histoire des religions, tome 182 n°1, 1972. pp. 53-81.
doi : 10.3406/rhr.1972.9880
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1972_num_182_1_9880
« Elie Steel-Maret »
et le renouveau des études
sur la Franc-Maçonnerie illuministe
à la fin du dix-neuvième siècle
GerSvoauiss- Alen pnseelu Bdoouncyhmete, dli'bErlaieir Sel eete lc-hMiraormeta;n dcieeunx, jeetu lne eDsT h Momamrieuss,
Boccard, plus tard député, publièrent à Lyon, en 1893, les
Archives secrètes de ; la . Franc-Maçonnerie qui- reproduisent
de nombreux documents tirés des archives de< Jean-Baptiste"
Willermoz, qui étaient alors complètement oubliées.
Cette étude, fondée sur - des correspondances ' inédites, mel
au point la biographie et la bibliographie de ces deux person
nages et définit leurs rapports: avec les francs-maçons, eVplus
généralement les occultistes de leur temps, au premier rang
desquels se trouve le DT Gérard Encausse (Papus).
En 1893, parut à Lyon, pendant quelques mois,. sous la
signature ď « Elie Steel-Maret » qu'on n'a jamais revue?
depuis, une assez curieuse publication, dénommée Archives
secrètes de la Franc-Maçonnerie. Collège Métropolitain de:
France, à Lyon. Deuxième Province, 1765-1852:
II \ s'agissait de livraisons, elles furent onze, destinées à
être réunies en. volume ; et bien que ces pages aient eu le
défaut de ne comporter qu'un appareil critique* et scienti
fiquet rès réduit, elles reproduisaient des documents maçonn
iques (rituels, correspondances, instructions historiques et
symboliques) d'un immense intérêt.
Ces pièces, inconnues du plus grand nombre des francsmaçons
de la fin du xixe siècle, démontraient, sans aucun
doute possible, que certains, courants de la. Franc-Maçonn
erdui seiècle précédent avaient été animés d'une religiosité
et de préoccupations spirituelles tout à fait oubliées par la
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suite. En dépit de leur intérêt, ces livraisons passèrent prat
iquement inaperçues et le mystérieux « Steel-Maret » en sus
pendit la publication qui n'a jamais été reprise, du moins
de façon méthodique.
On constate qu'elles ne furent pourtant pas sans influence.
Depuis cette époque en effet, la quasi-totalité des auteurs
qui ont. écrit sur la Franc-Maçonnerie souvent appelée, . à
tort ou à raison, « illuministe » ou « mystique » ont fait figurer
les Archives secrètes en bonne place dans leurs bibliographies.
On constate aussi que, dès la fin du siècle, les milieux occul
tistes se sont hâtés de tirer parti des éléments apportés par
Steel-Maret pour étayer le « spiritualisme » qu'ils entendaient
opposer au matérialisme scientiste. Dans le domaine des obé
diences maçonniques enfin, il est bien certain que la. publi
cation de Steel-Maret fut pour une part à l'origine du renou
veau du courant « traditionaliste », centré sur le Rit Ecossais
Rectifié, qui s'est manifesté depuis le début du siècle. .
Sans doute les documents qui servaient de base au livre
en question ont-ils,, pour, la plupart, rejoint depuis lors :1a?
Bibliothèque de Lyon, à la suite de la vente d'Amsterdam
de janvier 1956, de telle manière que les chercheurs sont
aujourd'hui à même de les étudier à loisir.
Il demeure pourtant intéressant de chercher, à savoir qui;
fut cet auteur, quels étaient ses desseins, d'où il tenait ses
documents ; ne fût-ce que parce qu'on chercherait en vain
la moindre indication sur lui chez ; les auteurs spécialisés :
René Le Forestier lui-même qui le cite une vingtaine de fois
dans sa Franc-Maçonnerie lemplière i et ' occultiste, n'a pas un
mot sur son* identité véritable.
Sans doute l'érudit archiviste Henry Joly, ou le rédacteur
de la notice du catalogue Hetzberger1 n'ignorent-ils pas que
1) Henry Joly, Les archives maçonniques de J.-B. Willermoz à la Bibli
othèque municipale de Lyon, in Bulletin des bibliothèques de France, juin 1956,
pp. 420-424. Aussi : « Bibliothèque Chateau, Le Brigon », Gières (Isère), France..
Seconde partie. Manuscrits et autographes maçonniques des archives de
J.-B. Willermoz «... Vente publique. International Antiquariaat. » Amsterdam
(janvier 1956).
« ELIE STEEL-MARET » 55
ce nom d'Elie Steel-Maret masque un libraire lyonnais,
G. Bouchet, et un docteur en médecine, Marius Boccard,
mais ce sont là les seules indications précises sur la question ;
on conviendra que c'est bien peu.
Enfin cette étude, et c'est peut-être là l'essentiel, permet
d'apporter, quelques précisions sur un épisode curieux de
l'histoire de l'occultisme de la fin du xixe siècle, et, à ce titre,
elle peut être une modeste contribution à une plus vaste
recherche qu'il faudra bien un jour se décider à mener à
bien, si l'on veut sortir des légendes qui entourent encore
trop souvent ce mouvement.
Il convient de préciser à cet égard que cette étude est le
résultat partiel d'une enquête que j'ouvris, alors que, réunis
sant les éléments d'une bibliographie du Régime Ecossais
Rectifié1, je fus confronté à de nombreuses incertitudes et
carences en la matière. Je pris alors comme thème de recherche
La véritable histoire des archives secrètes de la franc-maçonnerie ;
on a ici un chapitre de cette étude, qui réserve bien des
surprises2.
* * *
Dès l'abord, il est nécessaire de souligner le fait qu'une
des principales raisons pour lesquelles les Archives secrètes
et leur auteur sont demeurés dans l'obscurité tient à l'éclipsé
que leur fit subir, à cette époque, l'activité de Papus (le
Dr Gérard Encausse), alors adonné à la propagation de son
« ordre martiniste » de fondation récente et dont la « filiation
traditionnelle » demeurait à démontrer.
Précisément, les archives découvertes à Lyon par « Steel-
Maret », et lui seul, furent l'objet d'une utilisation à cette fin.
Cela n'aurait aujourd'hui que peu d'importance si. Papus
n'avait produit un récit de leur invention qui a jusqu'ici été
pris à la lettre par tous les auteurs, sans exception. Un seul
n° 318)7 E(loécmtoebnrtes -dd'éucneme bbirbel io1g9r6a8p),h ipe pd.u ГR>6é-g6i8m. e Ecossais Rectifié, Le symbolisme,
2) Etude d'ensemble à paraître, sous ce titre.
56 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS
fit des critiques : Paul Vuillaud ; mais , à l'accoutumée il
s'agissait de sarcasmes blessants et non d'objections sérieuses
et précises1.
Il; demeure donc nécessaire, pour bien préciser l'état de
la question, de procéder à une analyse rigoureuse durécit,
d'ailleurs assez bref, de Papus, pour le recouper, en repérer les
lacunes ou les erreurs éventuelles et lui apporter les complé
ments indispensables.
L'essentiel s'en trouve dans l'introduction d'un ouvrage
publié en 1895 et consacré à Martinès de* Pasqually et qui
était le premier d'une série dévolue précisément à l'exploi
tation de ces riches archives2.
Papus écrit; :
« Jusqu'à présent on ne possédait aucun document sérieux per
mettant d'élucider la vie d'un de ces hommes qui ont le plus contribué
au ! développement et à la propagande de l'illuminisme en France,
Martinès de Pasqually, l'initiateur de Louis-Claude de Saint-Martin,
dit le Philosophe inconnu, et le fondateur du Rite des Elus Coens.
« Représentant de la tradition •> martiniste, nous avons été mis à
même, grâce à notre Loge de Lyon, d'étudier les archives miraculeu
semensta uvées et qui permettent de jeter une lumière décisive sur
1) Paul Vuillaud, Les Rose-Croix lyonnais au dix-huilième siècle d'après
leurs archives originales, Paris, 1929. Ces archives originales seront nettement
précisées dans la présente étude : il s'agit uniquement de la partie qui vint en
la possession de Papus ; on verra dans quelles conditions. La seconde compagne
du Dr Gérard Encausse, Mme Jeanne Robert (et non pas son fils Philippe,
comme l'indique par erreur Henry Joly, op. cit.) les vendit au libraire Nourry,
et c'est alors que Vuillaud les exploita, fort mal, dans l'ouvrage précité et dans
une étude restée inédite, dont le manuscrit est conservé à la Bibliothèque de
l'Alliance Israélite Universelle.
Cet aspect de la question a été définitivement mis au point par Robert
Amadou, Note sur l'histoire posthume des Archives de Papus, Cahiers de la
Tour Saint-Jacques, IX, 1962, et surtout Les archives Papus à la Bibliothèque
municipale de Lyon, L'iniiiation, avril-mai-juin 1967.
2) Papus se proposait de publier, sous le titre : L'illuminisme en France,
les trois ouvrages suivants :
1767-1774. Marlines de Pasqually. Sa vie, ses pratiques magiques. Son
oeuvre. Ses disciples. D'après des documents entièrement inédits.
1771-1790. Louis-Claude de Saint-Martin. Sa vie. Sa doctrine- ésolêrique.
Son oeuvre. D'après des documents entièrement inédits.
1767-1810. Jean-Baptiste Willermoz. Les Elus Coens. La Stricte Observance.
Les groupes initiatiques de Lyon. D'après des documents entièrement inédits.
Ces projets devaient être modifiés sur certains points puisque si le Martinès
parut en 1895 chez Chamuel, et le Saint-Martin en 1902 chez Chacornac sous
la forme prévue, le Willermoz fut transformé et devint Marlinisme, Willermozisme,
Martinisme et Franc-Maçonnerie, Paris, 1899 (Chamuel).
« ELIE STEEL-MARET » O/
l'histoire de l'illuminisme en France au xvine siècle et sur les rap
ports des loges avec la Stricte Observance du baron de Hundt.
« Ces archives proviennent d'un homme à peine connu des auteurs
spéciaux, J.-B. Willermoz, placé à la tête du mouvement ésotérique
à Lyon et qui a joué un rôle des plus importants dans l'histoire du
Martinisme. »
Pour l'heure, je prie simplement le lecteur de garder pré
sentes à l'esprit les phrases soulignées, qui sont fort révéla
trices des intentions de Papus, à l'époque.
Notre auteur, en bonne méthode, donne alors le class
ement des documents en sa possession1, indique les grands
traits de son travail, et justifie l'authenticité des pièces dont
il dispose. Il ajoute, il faut aussi le retenir, car cette précision
paraît importante à ses yeux comme si elle démontrait une
antériorité :
« C'est l'étude consacrée à Martinès de Pasqually que nous livrons
aujourd'hui au public. Ce travail fut commencé par nous à Lyon,
sur place, en juillet dernier (1893) et poursuivi jusqu'à ce jour
(16 octobre) sans interruption. »
Or c'est en 1895 que paraît cet ouvrage ; entre-temps,
en 1893 justement, sont parues les Archives secrètes, mais
Papus n'y fait aucune allusion, puisque sa préface est...
théoriquement antérieure à leur publication. Pour quiconque
n'a pas eu connaissance des travaux de Steel-Maret, Papus
révèle bien l'existence des archives lyonnaises que d'obscurs
disciples ont eues entre les mains, mais dont « le Grand Maître
Martiniste » seul a su connaître la valeur.
La réalité est pourtant tout autre, on le verra.
Continuant son récit, Papus esquisse l'histoire antérieure
des archives. Il rappelle les efforts et les peines de Willermoz
pour les sauvegarder pendant la Révolution en s'appuyant
sur la lettre de 1810 au prince Charles de Hesse (que Steel-
1) Ces pièces étaient principalement :
— correspondance de Martinès et Willermoz ;
— 48 lettres échangées par Willermoz et Saint-Martin ;
— lettres diverses dont celles de l'abbé Fournie.
« Steel-Maret » conserva par-devers lui de très nombreux autres documents
dont Papus n'eut jamais connaissance.
58 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS
Maret •■.avait publiée in extenso) ; ce récit doit être 'd'ailleurs
largement complété, mais je m'en abstiendrai ici, puisqu'il
s'agit principalement de la « résurgence » de 18911. Papus
poursuit, et l'on trouve le i passage ' maintes fois reproduit :
« Quelques i années plus tard; Willermoz mourait et léguait le
précieux dépôt à son; neveu qu'il avait initié lui-même et nommé
G. M. Profès. A la mort de celui-ci, sa femme confia les papiers à <
un ami sûr et profondément dévoué à ces idées, M; Cavarnier. »
II faut signaler en passant que ce grade de « G. M. Profès »
est une invention pure et simple. Il exista bien des Profès
et des Grands Profès2, mais de G. M. (Grands Maîtres ?)
Profès — point. Et que vient faire ici le neveu de Willermoz ?
Ou bien il s'agit du légataire spirituel et dépositaire de
confiance de Willermoz, Joseph-Antoine ' Pont, figure atta
chante encore que trop méconnue, mais il ne s'agit pas d'un
neveu. Ou bien il s'agit d'un i neveu, fort lié d'amitié avec
Pont, d'ailleurs,, mais alors il ne s'agit pas du « dépositaire
de i confiance ». Cette confusion . s'accroît encore avec l'allu
sion à, une veuve, car Joseph-Antoine Pont, qui fut bien le:
possesseur de ces archives, est mort lui-même le 30 novemb
re183 8... veuf de Jeanne-Julie Allard !
Au surplus, il paraît assez difficile qu'une personne de la
génération de Pont ait pu léguer quelque chose à « Cavarnier »
qui est né. le, 9 'mai; 1833 à Lupersat et n'a guère pu s'inté
resser à ces questions avant les années 1850.
1) Pendant les événements révolutionnaires, Willermoz détruisit volontair
emedne tn ombreuses pièces qu'il ne pouvait conserver ; d'autres furent détruites
par l'éclatement d'une bombe et, enfin, une malle entière de documents fut égarée
au cours des transferts, notamment à Г Hôtel-Dieu dont Willermoz fut l'adminis
trateur:P eut-être cette dernière fut-elle retrouvée par le Dr Boccard (cf. infra).
2) Voir Ostabat, Les origines du R.E.R., in Le symbolisme, n° 385-386
(juillet-septembre 1968) ; Ostabat, Les chevaliers Profès de la Stricte Obser
vance et du Régime Ecossais rectifié, Le symbolisme, n° 389 (avril-juin 1969).
Cette dernière étude reproduit de larges extraits du Rituel en usage dans la
Stricte Observance, et de Г Instruction secrète des Grands Profès. Il est donc,
tout à fait surprenant que cette dernière ait été présentée comme un document
« étonnant » et « inédit » dans l'appendice de La Franc-Maçonnerie occultiste
et lemplière de René Le Forestier, Paris, 1970, p. 1021, document « inédit »
présenté par Antoine Faivre.
Voir aussi Maharba, A propos du R.E.R. et de la Grande Profession qui *
apporte des précisions inconnues ailleurs [Le symbolisme, n° 391).
« ELIE STEEL-MARET » 59:
Je précise au passage que ce personnage; dont on verra -
le rôle dans cette affaire, s'appelait en réalité Michel Garvanier.
Son petit-fils, que j'ai eu le privilège*de rencontrer, et qui
m'a réservé un accueil dont je garde le souvenir ému, dans
un i admirable petit village de la Creuse, m'a confirmé que
sa famille a dû depuis longtemps s'accommoder d'une inver
sion « fatale » de Carvanier en Cavarnier.
Papus écrit à son propos :
« Au milieu des succès matériels et des labeurs quotidiens, cet
homme de bien trouva le temps de poursuivre ses études et fut amené
progressivement à approfondir l'occultisme dont il devint un fervent
adepte, travaillant seul et sans confier ses recherches à aucune société.
« Mais sentant la lourdeur de la responsabilité qui pesait sur lui
si les archives se perdaient, Cavarnier eut sans doute une seconde
le désir intense de sauver le dépôt sacré et nous savons tous la puis
sance avec laquelle le désir se propage dans l'invisible.
« Un jour, passant devant une petite boutique de librairie, Cavarn
ieres t attiré comme malgré lui -vers ce magasin. Il entre, cause à
la personne qu'il trouve là et constate, peut-être sans étonnement
car les intuitifs sont sujets à cet ordre de faits, qu'il se trouve en
présence devant le représentant du martinisme à Lyon, M. Elie Steel,
et qu'il a été conduit chez les successeurs directs de ceux dont il possède
les archives.
« Que dire après cela. Averti de ce qui se passait, notre ami.Vitte1
n'hésita pas à me mander à Lyon où pendant une semaine je compulsai
1) Ce Vitte, connu dans le petit monde occultiste sous le nom d'Amo,
est le dédicataire de l'ouvrage de Papus : « A l'ami Vitte, ingénieur, ancien
élève de l'Ecole Polytechnique, à l'apôtre de l'Unité, je dédie ce résumé des
efforts de Martinès. » On consultera sur lui, Papus, L'oeuvre d'Amo, dans
L'initiation, 1893 ; mais on retiendra surtout les intéressantes précisions qu'ap
porte sur lui René Guenon, in Le théosophisme, histoire d'une pseudo-religion,
chap. XVII : « Au Parlement des Religions » (p. 173 de la réédition 1965).
« Une idée plus ambitieuse fut émise par un ingénieur lyonnais, P. Vitte, qui
signait du pseudonyme d'Amo et qui voulut transformer le « Congrès des
Religions » en un « Congrès de l'Humanité », « rassemblant toutes les religions,
les spiritualistes, les humanitaires, chercheurs et penseurs de tous ordres, ayant
pour but commun, la progression de l'Humanité vers un idéal meilleur et la foi
en sa réalisation »... Après avoir exposé les raisons pour lesquelles les diverses
organisations théosophistes et occultistes ne parvinrent pas même à s'entendre
entre elles pour organiser en 1900 ces grandioses « assises solennelles de l'Human
ité», R ené Guenon ajoute à propos de P. Vitte : « Saint- Yves d'Alveydre lui
ayant dit que « l'esprit celtique est aujourd'hui dans les Indes », il voulut aller
s'en rendre compte et s'embarqua en septembre 1895 ; mais à peine arrivé il
fut pris d'une sorte de peur irraisonnée et se hâta de revenir en France où il était
de retour moins de trois mois après son départ; celui-là était du moins un
esprit sincère, mais ce simple fait montre combien il était peu équilibré. »
60 REVUE DE L'HISTOIRE. DES RELIGIONS
et copiai les principaux documents. J'eus le plaisir de me rendre
auprès de Cavarnier et je trouvai en lui l'homme de coeur dignement
choisi par nos Maîtres pour être le gardien de leur spiritualité..))
Le ' récit . de Papus se termine alors par. des protestations
de modestie, qui ne laissent pas de paraître suspectes, d'ail
leurs, car il n'entend être que le commentateur, fidèle de ces
documents que les « Maîtres » — rien moins que les « Supé
rieurs Inconnus » — ont bien voulu lui confier.
Tout, le récit baigne donc dans une aura providentielle
quelque peu trompeuse, car Papus se garde bien de dire
qu'il n'a vu qu'une partie des documents (certains ne lui
ont pas été communiqués) et que ceux qu'il publie ont tout
simplement été acquis par une transaction assez ordinaire
en librairie.
En fait, l'atmosphère surnaturelle n'est là que pour
« envelopper » le souci de Papus qui transparaît clairement :
il s'agit de démontrer/ que les Martinistes sont les « succes
seurs directs » de ceux dont Carvanier possède les archives :
Martinès, Saint-Martin, Willermoz. Or ils: ne le sont pas ;
comment expliquer qu'ils ne possèdent pas ces archives si
leur filiation est ininterrompue ? Un seul moyen : une inte
rvention des « Supérieurs Inconnus »...
La préoccupation de Papus est d'ailleurs si tenace qu'il ;
oublie de s'intéresser aux autres archives, ainsi que le confiera
Elie Steel à l'un de ses correspondants (lettre inédite- du
6 juin 1895). On ne peut reprendre ici toute la question des
origines véritables du Martinisme1, mais ceci permet assuré-
1) Aucun historien sérieux ne considère plus que le « Martinisme » de Papus
ait jamais eu un rapport de filiation avec l'Ordre des Elus Coens de Martinès,
avec la Stricte Observance et le Régime Ecossais Rectifié, ni même avec Louis-
Claude de Saint-Martin, qui n'a jamais fondé un « ordre ».
On consultera sur ce point les nombreuses mises au point publiées par
Robert Amadou, ainsi que les fort honnêtes conclusions de Jean Chaboseau et de
Philippe Engausse, dans son Papus (Paris).
Ce qui demeure frappant en l'occurrence est le désir d'utiliser des documents
incontestablement authentiques. pour accréditer une pure légende. Une telle
tentative de captation se poursuivra vers 1914 par des démarches auprès
d'Edouard de Ribaucourt en vue d'utiliser la loge « Le Centre des Amis » (R.E.R.)
etla G. L.N.I.R. naissantes... Elle se produira de manière encore plus abusive avec
l'affaire « Lagrèze » (cf. Le symbolisme, n° 388, janvier-mars 1969, pp. 183-192).
« ELIE STEEL-MARET » 61
ment de comprendre pourquoi le rôle de Steel-Maret était en
quelque sorte condamné à rester dans l'ombre, dès lors que
Papus tenait le devant de la scène.
Mais qui était donc Steel-Maret ?
Ce pseudonyme, on le sait, recouvre deux personnes dont
on va maintenant tenter de tracer un portrait, à partir de
pièces pour la plupart inédites ou méconnues.
* * *
Elie Steel, dont on a déjà rencontré le nom, est donc le
véritable inventeur des archives, ou du moins, puisque avec
Carvanier elles n'étaient pas perdues, le premier dépositaire
qui ait essayé de les faire sortir de l'ombre où elles se trou
vaient. Mais « Elie Steel » c'est aussi « Elie Alta », et pour
l'état civil : Gervais-Annet Bouchet. (En ce qui concerne
les détails bibliographiques, pour des raisons pratiques je
renvoie le lecteur à une notice complète, en note1. Je procé
derai de même pour « Maret ».)
Ses années de formation demeurent inconnues, mais de
rares confidences dans ses ouvrages donnent l'impression
d'une origine humble et de grandes difficultés ; il insiste
1) II convient de ne pas confondre Elie Alta avec un autre auteur fort
prolixe qui signait « Alta, docteur en Sorbonně », en réalité l'abbé Calixte
Melinge fortement influencé par Saint- Yves d'Alveydre et l'abbé Roca. Notice
relative à Gervais-Annet Bouchet : né à Lyon le 31 octobre 1863, fils de Benoît
Etienne et d'Antoinette Bernand. Divorcé en premières noces de Louise-
Philomène Foray, époux en deuxièmes noces de Marie Dreyfus. Décédé à Vichy
le 1er mars 1927.
Outre sa revue L'union ncculle et les Archives secrètes, Bouchet a publié
sous le nom d'Elie Alta :
— « Cosmogonie humaine. Essai de synthèse des sciences divinatoires. Chiromancie
complète. Clé de la physiognomonie, de la phrénologie, de la graphologie, du
symbolisme et de l'architecture religieuse, Vichy, 1917 (Bouchet-Dreyfus,
Librairie générale, 17, rue Sornin).
France veille ! La fin des temps, Vichy, 1919 (Alta-Dreyfus).
— Signum. Le mystère de la vie, Vichy, 1922 (Bouchet-Dreyfus).
Signum. Le mystère et médicale, Vichy, 1922 (Bouchet-Dreyfus).
— - Le larol égyptien. Ses symboles, ses nombres, son alphabet. Comment on
lit le larol. L'oeuvre d'Elleila restituée, Vichy, 1922 (Bouchet-Dreyfus).
Signum. Troisième cahier. Traité complet de chiromancie pratique, Vichy,
1924 (Bouchet-Dreyfus).
N. B. — Les trois livraisons de Signum ont été réunies en un seul volume.
62 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS
d'ailleurs souvent sur la modestie de sa formation scolaire :
« Je suis un simple, n'ayant jamais fréquenté les universités ;
mes connaissances ont été acquises à l'école de la nature
par la méditation, l'observation et les souffrances... », « Je
n'ai que les facultés d'um autodidacte et l'arsenal' de mon.
érudition est trop restreint pour me permettre d'exprimer
toute ma pensée... »ь
En tout cas, c'est dans les années 1889-1890 (il ar alors;
26 ou 27 ans) qu'il paraît s'être intéressé à l'occultisme. Une
lettre conservée à la Bibliothèque de Lyon — Fonds Papus —
nous le montre en relation avec Papus en novembre 1890,
et, apparemment cette rencontre est récente, car Bouchet
en est à se présenter : « Je ne suis qu'un employé de commerce,
père de famille, ayant mon ménage pour seul repos et pour
seule distraction les études occultes. Je ne possède pas beau
coup d'instruction,, mais le peu que je sais me suffît pour
étudier avec profit leurs enseignements. Du reste le. temps
me manque aussi. Je suis enfermé de 7 heures du matin à.
7 heures du soir dans un bureau où le jour vient à peine, le
gaz toute la journée ; vous voyez que pour arriver à ce quej'ai
je me suis donné ce qu'on appelle du tourment » (a),
(les lettres renvoient à la nomenclature de la correspondance
inédite, placée en fin d'article).
Ce qu'a -Bouchet à cette époque, c'est une petite revue
dénommée : L'union occulte française, et qui n'avait pas un
grand rayonnement, car il propose à Papus de lui envoyer quel
ques numéros pour savoir si elle pourrait être diffusée à Paris.
Papus, qui n'est âgé que de 26 ans, fait déjà figure de chef
d'école. Deux ans avant, en 1888, il a rompu avec la Société
Théosophique et publié son Traité élémentaire de science occulte
et son Tarot des bohémiens ; U initiation a été fondée ainsi que
le « Groupe Indépendant d'Etudes Esotériques ». Le Voile d'Isis
est sur le point de paraître, mais surtout, le « Suprême Conseil
de l'Ordre Martiniste » va être créé en 1891.
L'union occulte et son fondateur sont , beaucoup plus
modestes ; Bouchet confie ses espoirs à Papus : « J'espère
« ELIE -STEEL-MARET » 63
que L'union occulte pourra vivre et qu'enfin j'aurai pu mettre
au jour ces deux rêves : former un groupe et fonder un journal
qui * puisse plaire à tous les chercheurs quelle que soit leur
école. Croyez que j'ai rencontré bien des écueils ! Les groupes
spirites avec leurs présidents se sont d'abord mis en travers...
M. Bouvier seul, au bout de quelques discussions, s'est mis de
ma partie avec un de ses amis, M. Fayard, et le groupe des
indépendants fut fondé. Restait le journal. C'était plus
difficile et là personne ne m'a aidé. Seul je l'aurai fondé. Je
puis dire maintenant que l'affaire est en très bonne marche;
que ces messieurs épousent l'idée et semblent même très
contents de ce que j'ai fait ; comme pour le groupe mes deux
amis me soutiendront je le crois, dès à présent л1.
Papus dut, en tout cas, juger que cette nouvelle relation
était digne d'attention; puisque moins de trois mois plus
tard, en février 1891 \ le Voile ďlsis annonçait qu'au même
titre que L'initiation, L'union occulte française de Lyon était
un des organes officiels du « Groupe Indépendant d'Etudes
Esotériques ». C'est probablement à cette époque que Bouchet
fut admis dans l'ordre martiniste ; sur ce point je n'ai encore
trouvé aucune précision ; en tout état de cause, en 1895,
Papus le désigne comme martiniste, et dans des lettres privées
lui-même se prévaut de cette qualité.
Pourtant la ♦ collaboration avec Papus ne devait pas lui
apporter que des satisfactions, car avant de chercher à
s'assurer l'exclusivité des archives, Papus paraît avoir marqué
quelque désinvolture avec son modeste « disciple », comme
en témoigne une lettre de ce dernier, :
Lyon, le 25 juillet 1891.
Monsieur Papus,
Je ne sais plus que penser de v/ silence ainsi que de celui de
M. L. Mauchel2.
1) D'après des renseignements extraits de la « Bibliotheca Esoterica » qui
m'ont été aimablement communiqués par M. J.-P. Laurant, L'union occulte
parut ultérieurement sous le nom de La paix universelle, puis et jusqu'en 1908,
sous celui de Revue indépendante de magnétisme et de psychisme.
2) II s'agit de l'éditeur et occultiste Chamuel.
64 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONSr
Depuis fin Mars je suis sans réponse à toutes les lettres que je
v/ ai adressées ; les lettres de B. que je vous ai réclamées ne me sont
même pas encore parvenues !
Nous ne savons Mr. Fayard et moi sur quel pied danser !
Le plus cruel c'est que le service du« Voile » m'est faitd'une
façon déplorable. Ainsi aujourd'hui samedi je ne l'ai pas encore reçu
et ce journal porte la date du mercredi. Voilà deux jours que je cours
à la gare pour chercher le colis postal et rien de venu. Hier vendredi
je me dépêche à dîner je prends le tram / pour Perrache, rien de venu !
Aujourd'hui je fais demême : encore rien ; total :. 0,40 de dépensé
et beaucoup de dérangement pour rien.
Que feriez-vous à ma place ? J'ai créé un dépôt spécial de vos
ouvrages ; j'ai créé pour le voile d'Isis 25 Dépôts, vous voyez la
ronde que j'ai à faire dans tout Lyon ; enfin je fais tous les sacrifices
possibles de mon temps et même de mon argent pour, la défense de
votre cause et je n'ai même pas une pauvre petite lettre pour m'encourager,
pas même de réponse à tous les renseignements que je vous
ai communiqués.
A la veille de la fondation de la nouvelle branche, au moment où
Bouvier dans la séance de dimanche dernier vous appelle Jésuite
et promet d'en donner la preuve « Vous êtes l'homme de paille d'une
bande de Jésuites orthodoxes qui veulent accaparer le spiritualisme
moderne au profit de leur cause » voilà ce qu'il dit (lui) en pleine
séance des Indépendants lyonnais et ce qui a produit je puis vous
l'assurer le plus mauvais effet. C'est donc à ce moment critique que
vous nous laissez ? Nous désintéresser de la lutte '!:.. et c'est peut-être
ce que nous aurions de mieux à faire...
Sans réponse c'est ce que nous ferons car en toute justice nous ne
pourrons rester dans cette hypothèse.
Dans l'espoir que vous ne voudrez pas qu'il en soit ainsi et compt
ant sur vous par retour je vous serre amicalement la main.
Frère en la S. S., G. Bouchet, 17, rue Sully (b).
Outre le témoignage qu'elle apporte sur le comportement
de Papus, cette lettre permet de préciser qu'alors Bouchet
s'est établi; comme -libraire, et l'on verra plus loin que c'est
bien, en 1891 que les archives lui seront remises. D'ailleurs
parla suite Геп-tête de ses lettres le précisera, détail minime
sans doute, mais qui vaut d'être noté ; Papus avait écrit que
Garvanier s'était senti « attiré comme malgré lui» vers une
librairie ; Bouchet, lui, _ dira qu'il avait été « attiré par le
cachet occulte de sa librairie » et l'on comprend pourquoi, à
lire l'enseigne commerciale de sa > succursale : « G. Bouchet,
« ELIE STEEL-MARET » G5
« Librairie de la Préfecture », 9, rue de Bonnel. Seule succurs
ale: « A l'Enseigne d'Agrippa », rue des Bouquetiers, Lyon. »
Assez vite pourtant, Elie Steel paraît avoir connu de
nombreux déboires, ainsi qu'en témoigne sa correspondance :
— 4 juin 1895 : « Pour le moment je n'ai que faire de parler de
mes souffrances morales et de mes ennuis matériels... » (d)
— 1G septembre 1895 : « Mes chagrins hélas ne sont pas te
rminés. Je vis séparé de mon épouse tâchant par tous mes efforts à
réaliser ma situation. Je n'ai pas à me plaindre pour le moment,
mon cabinet commence bien, et nous sommes en mauvaise sai
son... » (e)
— 17 octobre 1895 : « Depuis ma dernière lettre, bien des choses
se sont passées, choses bonnes au fond. Mon épouse, revenue à de
meilleurs sentiments est maintenant avec moi. Ne pouvant plus tenir
ma librairie, je l'ai enfin cédée à une veuve plus riche que moi qui
continuera l'oeuvre que j'ai commencée, soit la vente des oeuvres
de science occulte. Mon cabinet subit les hauts et les bas du commen
cement mais j'ai de l'espoir et Dieu n'abandonne jamais ceux qui
ont confiance en lui » (f).
En fait, l'accalmie conjugale ne sera qu'une courte rémis
sion, puisque, en définitive, Bouchet devra divorcer.
Dès avant la cession de sa librairie notre homme s'était
résolument tourné vers une tout autre activité pour ouvrir
un cabinet, à la raison sociale suivante :
Elie Alta
Traitement magnétique. Divination
Tarot. Horoscope. Astrologie
Somnambulisme
34, rue de Marseille, au 3el
1) II paraît intéressant de reproduire ici le texte d'un « tract * élaboré par
Bouchet pour présenter ses activités, et que j'ai retrouvé annexé à une lettre
du 9 juillet 1895.
MA GNÉ TISME С UR A TIF
L'art de guérir est, avec la science matérialiste, tombé dans une
complète décrépitude, les remèdes chimiques inertes on producteurs
d'effets impossibles à prévoir et surtout à mesurer dans leurs consé
quences, ont plus abaissé le niveau de la sanlé générale qu'ils n'ont
contribué à guérir de maladies.
Le savoir malérialisle ignore que le corps est un résultat, la vie
humaine est faite par des forces subtiles, invisibles ; que ces forces
construisent le corps, le maintiennent dans Vélat de sanlé normale et,
66 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS
Je dois avouer, pourtant, qu'en dépit de mes recherches
pour retrouver sa trace au rôle de la contribution des patentes
(sa profession étant imposable sous la rubrique « Tenant un
cabinet d'occultisme ») je ne puis préciser pendant combien
de temps il exerça sa profession à Lyon.
On ne le retrouve qu'en 1916, installé à Vichy, où, remarié
avec Marie Dreyfus, il est revenu à la librairie et à l'édition.
La « Librairie générale Bouchet Dreyfus », 17, rue Sornin,
édite alors principalement les ouvrages de Bouchet-Steel-Alta
dont on reparlera dans un instant.
Il donne encore de nombreuses consultations et des cours
de chiromancie, graphologie et tarots, n'hésitant pas à se
déplacer puisqu'il séjournait assez fréquemment à Paris. A
titre anecdotique, je signale, entre autres exemples, que
Bouchet séjourna à Paris de novembre 1922 à mars 1923,
12, rue de Bucarest (ex-Hambourg), escalier B, lre gauche.
C'est chez lui, pourtant, 2, rue de Madrid à Vichy, que la
mort devait le surprendre, le 1er mars 1927. Il avait 63 ans1.
quand elles sont dérangées dans leurs rapports, produisent ce que
nous nommons des maladies.
La science antique savait cela ainsi que bien d'autres choses que
nous ignorons encore. Au siècle dernier, Mesmer rapporta dans
le monde un rameau du savoir de l'antiquité, Vart de guérir les
maladies en agissant directement sur les forces qui construisent le
corps, en rétablissant le jeu normal des énergies vitales dont tonte
maladie est un dérangement.
Depuis Mesmer l'art de guérir par l'action sur les forces subtiles
a fait de grands progrès et on arrive à faire disparaître des maladies
graves avec une rapidité qui parait un miracle aux matérialistes. Il
n'y a pas de miracles parce qu'il n'y a pas de surnaturel ; il n'y a que
du naturel inconnu. Une maladie grave, mortelle, peut résulter d'un
léger dérangement des forces vitales ; dès qu'on les rétablit dans leurs
rapports réguliers la maladie disparait.
Rien de plus simple et de plus rationel qu'un tel résultat.
Elie Alta
34, rue de Marseille (montée à pauche) Lyon-Guillotière
Consultations depuis 1 fr. Mardi, Jeudi, Samedi, de 1 h. à 5 h.
1) En dépit de nombreuses recherches qui me conduisent à remercier ici
MM. Dreyfus de Vichy, je n'ai pas réussi jusqu'ici à retrouver la trace de des
cendants (en 1891, il se dit « père de famille ») ou d'héritiers de Bouchet. Je crois
pourtant devoir signaler aux chercheurs cette « piste » intéressante, car on verra
plus loin que Bouchet avait réuni les éléments d'une histoire de l'occultisme ;
il serait, dès lors, utile de retrouver les documents qu'il avait amassés à cette fin.
« ELIE STEEL-MARET » 67
* * *
Ces quelques aperçus sur la figure peu commune deBouchet,
dont à vrai dire personne ne s'était guère soucié jusqu'ici,
demeureraient trop incomplets, si, avant de préciser son rôle
dans l'affaire des archives de Willermoz, on ne donnait
quelques indications sur son oeuvre écrite, dont il faut le dire,
la connaissance n'est point indispensable à l'honnête homme.
Car, outre sa revue, V union occulte et ses Archives secrètes,
Alta fut un auteur prolixe, adonné à la divination et surtout
à la chiromancie, se donnant pour le continuateur de
Desbarolles.
A vrai dire, s'agissant de l'aspect technique des travaux
chiromantiques de Gervais-Bouchet, je reprendrais à mon
compte et avec plus de raison encore quelques phrases de
Robert Amadou préfaçant une réédition de La chyromanlie
naturelle de Ronphilë : « Quoique l'usage en soit assez répandu,
je ne parlerai point ici de ce que j'ignore presque entièrement.
Sur le bien fondé de l'Art — ou de la Science ? — chiromantique,
je ne me prononcerai pas, faute d'une information
théorique et pratique suffisante »x. Je ne m'étendrai pas
davantage quant à la fidélité traditionnelle des travaux
d'Elie Alta. Sous ces réserves, capitales il est vrai, son ense
ignement de cette science traditionnelle mineure paraît en
conformité avec les classiques de cet art.
Ce qui est frappant, toutefois, c'est que Bouchet paraît
avoir accordé, jusqu'à la fin de ses jours, une importance
exagérée à certaines de ces sciences traditionnelles devenues
fragmentaires et même quelques fois dégénérées. Dans sa
Cosmogonie humaine ne va-t-il pas jusqu'à écrire (p. 446) :
« Oui nous le répétons et nous l'affirmons, la Divination est
la plus haute science. » De même, s'agissant de la chiromancie,
il affirme qu'elle n'est pas « une science occulte au sens vulgaire
du mot, elle est la science première car la main est l'instru-
1) Les Cahiers de la Tour Sainl-Jacques (V), 1er trimestre 1961.
68 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELICxIONS
ment du cerveau où siègent la pensée, l'esprit, l'intelligence ou
pour mieux dire l'âme. Née avec l'homme, elle en explique
la faute originelle et donne la signature de sa • destinée (...)
elle (la chiromancie) règne dans le ciel et sur. la -Terre,, elle
élève l'âme vers Dieu, fortifie la foi et ouvre les horizons des
plus hautes connaissances » (Signum, I, p. 9).
Pourtant, désireux de prendre quelques distances avec
«les charlatans, les ignorants et le superstitieux », notre
homme paraît, en 1917, soucieux de se distinguer des occult
istes, car, dit-il, « la publication de vieux grimoires et d'un
tas de stupidités faites pour répondre à la curiosité du public,
et cela par. des gens qui semblaient être très versés dans
ces questions n'a pas peu contribué à éloigner les hommes
sincères et sérieux de toutes les sciences dites occultes »
(Cosmogonie humaine, p. 236). D'ailleurs, le chapitre- XXX
de ce même ouvrage est fort clairement intitulé « L'occultisme
moderne, - les sorciers, les charlatans »! Je crois devoir en
citer un , extrait qui montre assez bien ce que devinrent les
sentiments de Bouchet à l'égard des occultistes et qui démontre
que l'on peut parfois manquer de discernement dans sa propre
conduite tout en jugeant exactement certains excès.
« Vint le spiritisme... et les âmes des morts flottèrent dans l'espace,
parlèrent aux vivants, remuèrent les meubles, frappèrent des coups
dans les murs et apparurent aux voyants. Toute une doctrine prit
naissance sur les vies successives et la réincarnation et les épreuves
que nous avons à subir ici-bas ; c'était en somme la théosophie adaptée
au- spiritisme. Puis vint l'invasion. du magnétisme. Le Bouddhisme
propagé par Jacolliot avec des histoires de fakirs; Allan Kardec par
ses ouvrages sur la doctrine spiritě; Eliphas Levi par ses ouvrages
sur la magie ; les publications théosophiques, Véclosion d'un soidisant
centre ď éludes ésotériques,, etc., toute une époque qui va
de 1870 à 1914 fut remuée par ces idées et ces manifestations d'outretombe.
De nombreux savants tentèrent quelques recherches, mais
s'égarèrent ou subirent des échecs, n'ayant pas le point de repère
pour pouvoir marcher à pas certains dans le dédale du monde des
fantômes! (...) S'il y avait eu vraiment une puissance morale dans
les communications spirites, un pouvoir occulte pouvant s'exercer
dans le sens indiqué par ces doctrines, il se serait produit des réformes
dans les esprits, des changements dans la conduite de l'humain ;.
mais il y avait dans la plupart des faits plus de mensonges, plus de
« ELIE STEEL-MARET » 69
bluff que de réalité (...) Nous avons voulu dans cet ouvrage sortir
de ces coutumes charlatanesques qui enflent à plaisir le moindre
phénomène et lui donnent de suite une tournure macabre. C'est ainsi
que procédèrent nos maoïstes modernes qui nous ont donné à part
quelques exceptions plus de vent que de réalité. Ils ont trafiqué sur
le dos des superstitieux et des ignorants, avec ceux qui pouvaient
répondre à leur mentalité ; ils ont été les démons démolisseurs
de cerveaux et proclameurs d'hérésies en ne répétant que des
vérités fondamentales habillées d'oripeaux mensongers » (Cosmogonie
humaine, p. 448-449).
On eût dit, au grand siècle : « Nourri dans le sérail, j'en
connais les détours... » mais quel témoignage !
Telles étaient donc les conclusions auxquelles parvint Elie
Alta, qu'il complétera plus tard en écrivant encore que « spiri
tisme, psychisme, hypnotisme, doctrines occultes relevant de
la théosophie, interprétation nouvelle du Christianisme. Voilà
le bagage de l'Antéchrist, c'est-à-dire du Christ tel que
l'inconscient le veut, homme seulement et non Dieu »
(Signum, I, 80).
A l'époque de la découverte des archives, pourtant, Bouchet
est encore tout adonné à ces « doctrines occultes ».
Toutefois il paraît bien avoir senti que la Maçonnerie tradi
tionnelle est aussi loin des illusions martinistes que des réalités
politiques de la Maçonnerie de l'époque. Il est même tellement
sûr que les premiers ne sont pas les « successeurs directs »
de Willermoz qu'il écrivit à un de ses correspondants :
« Mon plus grand désir serait de réveiller la province d'Auvergne
[il s'agit d'une « Province » de la Stricte Observance Templière]
endormie depuis si longtemps. L'oeuvre est belle, sublime, mais les
hommes sérieux manquent pour la réaliser ! Projets chimériques que
de compter sur les jeunes, hélas ! l'on voit bientôt à ses dépens qu'ils
ne sont point de taille pour une pareille besogne. (...) j'ai cependant
l'espérance d'assister à la renaissance de cette IIe Province avec
quelques hommes sincères et chrétiens. Assistez-moi, éclairez mes
pas chancelants, vous m'aiderez à vaincre les doutes qui dissolvent
les bons vouloirs. Quand je dis j'espère c'est que je sens que ça peut
se faire. Il faut de la Prudence et de la Tempérance.
« Vous savez qu'ici la M.', est morte, donc il n'y a plus rien à
faire en son sein. Nous ne pouvons construire que dans la solitude,
en secret »... (f).
70 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS
Le désir de retrouver les sources de la Franc-Maçonnerie
qui s'exprime ainsi, devait se réaliser, quelque vingt ans plus
tard, et justement par un petit groupe de maçons pratiquant
le Rit Ecossais Rectifié, qui fondèrent tout d'abord la loge
« Le Centre des Amis », puis l'obédience dénommée « Grande
Loge Nationale Indépendante et Régulière », devenue la
« Grande Loge Nationale Française » et qui est la seule à
être reconnue comme régulière en France.
* * *
Pour rectifier et surtout compléter le récit de Papus relatif
à la découverte des archives de Jean-Baptiste Willermoz,
on dispose grâce à Bouchet de deux sources principales.
La première, à laquelle on a déjà fait largement appel,
est l'importante collection de lettres qu'il adressa à divers
correspondants suisses, membres du Grand Prieuré d'Helvétie,
et notamment à Joseph Leclerc ; je dois la connaissance de
ces lettres à M. R. H. qui en est le dépositaire et à qui je
dois exprimer ici toute ma reconnaissance.
La seconde, par l'importance, mais par quoi on commenc
erae,st un texte par Gervais Bouchet lui-même mais qui,
semble-t-il, n'a retenu l'attention d'aucun historien de la
Maçonnerie. La raison en paraît simple : il a été publié dans
le deuxième cahier de Signum (1922), tout entier consacré
à la chiromancie, et il faut arriver aux dernières pages pour
le trouver. Mais peut-être, pressé par un correspondant,
Bouchet-Alta s'est-il souvenu de l'Elie Steel de sa jeunesse,
pour éprouver le besoin d'une mise au point, car ce texte
en est une. Comme il s'agit d'une notice assez brève, parue
il y a près de cinquante ans, dans une revue provinciale tirée
à 2 000 exemplaires, je crois utile de la reproduire :
« Les Documents Martinistes »
Les Chevaliers bienfaisants de la Cité Sainte.
Les Illuminés Coens. La Correspondance de Martinez
Pasqually et celle de St. Martin (sic).
« Peu d'occultistes savent comment les documents qui servirent
« ELIE STEEL-MARET » 71
à-Papus pour la publication de ses deux ouvrages sur Saint-Martin
et sur Pasquallys arrivèrent en sa possession.
Vers 1891, je fis connaissance à Lyon de Mr. Cavarnier, l'homme
le plus doux et le plus simple que j'aie jamais rencontré ; il était
grand amateur de documents anciens sur l'occultisme et la maçonn
erie et avait hérité de tous ceux qui appartenaient à Willermoz
qui fut Vénérable des Chevaliers bienfaisants de la Cité Sainte.
J'imprimai pour Cavarnier un catalogue très important de médailles
et de bibelots maçonniques1 ; pour me remercier de mon travail
et aussi en raison de sa grande amitié pour moi, car il aimait la
sincérité de mes opinions en matière occulte, il me fit cadeau d'une
quantité considérable de papiers ayant appartenu à Willermoz et
faisant partie des archives de la Maçonnerie mystique d'avant la
Révolution. Il y avait là dans des cartables originaux toutes les
correspondances des hommes de cette époque : Brunswick, St. Martin,
Martinès Pasquallis, Salzmann, Pernet de Vaucroz, etc. Il y avait
aussi des paquets de Rituels et de serments des Chevaliers Profès,
des croix, des tabliers et des ornements de l'époque..
J'eus le désir de publier ces documents avec le concours d'un ami,
qui était alors étudiant, aujourd'hui maire, et sous le titre ď Archives
secrètes de la Franc-Maçonnerie nous avions commencé cette publi
cation qui ne put continuer. Sur ces entrefaites, comme je m'occupais
beaucoup de propagande. pour les publications du groupe occultiste
de Paris, j'avais de longues conversations ésotériques avec un intime
ami, ingénieur à Lyon, ami également de Papus et ardent propagateur
des idées théosophiques ; il signait Amo.
Papus dut à mes relations de venir à Lyon ; c'est à un de ses
voyages que sollicité par Amo, je vendis à ce dernier pour une minime
somme les documents maçonniques importants concernant Villuminisme
dont il fil' cadeau à Papus. L'autre partie resta la propriété de mon
ami-B (Boccard) qui avait essayé avec moi la publication de ces
documents dont on demande paraît-il aujourd'hui un prix fabuleux !
J'écrirai quelque jour l'histoire du : mouvement occultiste2 mais
au. fond' qu'importe ! Les occultistes ont réveillé dans les sciences
et la philosophie des connaissances qui étaient endormies et c'est
là l'oeuvre utile de leur destinée » [Signum, II, pp. 67-68).
Les documents ont dono bien été achetés pour une somme
1) M. Marcel ('arvanier, petit-fils de Michel, se rappelle fort bien l'existence
de cette collection, dont, malheureusement il ne lui reste presque rien ; comme
il était encore enfant à l'époque où son grand-père dut s'en séparer probablement
pour des raisons financières, il ne peut aujourd'hui préciser qui en fut l'acquéreur.
De plus, son propre père, Francis Carvanier, étant décédé avant Michel Carvanier,
la « tradition familiale » se trouve fort imprécise.
2) Voir p. 61, n. 1.
72 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS
minime1 par l'ami Vittc (c'est-à-dire Amo) dont on a déjà
parlé.
Les lettres inédites de Bouchet vont encore permettre de
préciser certains points de détail, et surtout de connaître
mieux le rôle de « Maret » qu'on a peu évoqué jusqu'ici.
Peu après la publication des Archives, en effet, le
7 juin 1895, Elie Steel écrivait à son correspondant helvé
tique une relation de la découverte des archives, qui recoupe
exactement le récit qu'on vient de lire :
« Un jour, comme vous le savez par le livre de Papus,
M. Cavarnier entra chez moi, attiré par le cachet occulte
de ma librairie. A quelque temps de là, il me parla de docu
ments qui pourraient certainement m'intéresser. Je fus donc
un jour dans une chambre perdue dans un grenier et je
dégageai, absolument grisé par une pareil (sic) découverte,
un monceau de papiers enfouis dans des cartables à serrures
maç..*. de cette forme Д. Je prévins Papus qui est le
continuateur de Saint-Martin et dirige à Paris le grand mvt.
occulte de France. Il vint à Lyon exprès pour en prendre
connaissance et acheta la correspondance de Martinès Pasqualis
et de Willermoz ainsi que celle de Saint-Martin. C'est
donc avec ça qu'il a fait son livre.
« L'autre partie des archives était composée spécialement de la
correspondance maçonnique des différentes lovoici quelques noms : Brunswick, duc de Hesse-Cassel, Frédéric de
Prusse, Saltzmann de Strasbourg, baron de Hund, Franck de Stras
bourg, etc., etc., correspondance de Grenoble, Besançon, Mars
eille, etc. Dans la correspondance de Lyon se trouvent celles des
FF.'. Pont2 et de quelques autres. Nombreux rituels des Gheva-
1) Je ne sais d'où Vulliaud tire le renseignement quand il écrit (op. cit.,
p. 35) assez méchamment : « Nous assistons à un spectacle qui ne manque pas
de drôlerie : un Souverain Pontife retrouvant ses titres, ses archives et des
prédécesseurs inespérés. Le tout pour la somme de deux cents francs ! Ce serait
même un point à examiner — - s'il en valait la peine - - je ne sais à quel degré le
Pontife ne fut point, grâce aux documents laissés par des fidèles morts depuis
longtemps, initié plus véritablement aux doctrines dont il s'était institué le
bruyant propagateur ? »
2) A plusieurs reprises, dans les lettres que j'ai pu consulter, Bouchet fait
allusion aux FF.*. Pont — le redoublement des lettres ne laissant aucun doute
sur le fait que, pour lui, il y en avait plusieurs.
A ma connaissance la correspondance de ce deuxième F.*.. Pont différent
« ELIE STEEL-MARET » 73
liers В.*. de la С*. S.*, de Gd. Profes, etc. Enfin beaucoup de
lettres de Willermoz et quelques manuscrits » (d).
A quelques mois de là, répondant à de nouvelles questions
de son correspondant, Bouchet va s'étendre longuement sur
les raisons de la publication des Archives secrètes de la Franc-
Maçonnerie au premier rang desquelles on ne sera pas surpris
de découvrir l'incompréhension et l'ignorance triomphantes
de certains dirigeants de la maçonnerie de l'époque. De plus
cette lettre montre bien que Bouchet ne fut pas un « âne
chargé de reliques » incapable de reconnaître la valeur des
archives dont il était dépositaire, et qu'il n'avait pas attendu
l'intervention de Papus pour en savoir le prix.
« J'avais dressé un petit catalogue de toutes ces correspondances
(plus d'un millier de lettres) lorsque j'écrivis à diverses puissances
pour leur offrir ces documents.
« J'écrivis à l'Université de Genève sur le conseil d'un ami et par
carte postale on me répondit que ça ne pouvait les intéresser.
« J'écrivis à la cour du Roi de Wurtemberg qui refusa d'acheter
la correspondance de Frédéric.
« Seule la bibliothèque ou les archives de... (je ne me souviens plus
du nom), toujours en Allemagne, me proposa d'acheter la corre
spondance du baron Weiler, du duc de Hesse-Cassel, de Saltzmann
de Strasbourg et de Frédéric de Wurtemberg (...)
« Donc vous le voyez, mon cher Frère, j'ai fait tout ce qu'il (sic)
dépendait de moi pour arriver à faire profiter une loge intéressée
de tous les documents que je possédais. Le Gr.'. Or.', ne répondit,
celui de Lyon se moqua de cette maçonnerie en disant : ça n'a jamais
été de la vraie maç.'., ces documents n'ont aucune valeur.
« De guerre lasse, je voulus leur donner une leçon en publiant et,
par cette diffusion, pour leur montrer que les vrais maçons furent
de vrais chrétiens. L'entreprise ne réussit pas, et mon ami le docteur
de Joseph-Antoine (f 1838) n'a pas été retrouvée. Je ne puis examiner ici
l'ensemble de cette question qui fait l'objet d'un chapitre de La véritable histoire
des archives secrètes. J'indique toutefois que les éléments que j'ai réunis per
mettent de tenir pour hautement probable l'hypothèse qu'il s'agissait d'un des
fils de Joseph-Antoine, Charles-Joseph Pont, né à Lyon le 1er mai 1810, qui
au décès de son père devint son seul héritier de droit (cf. Archives départementales
du Rhône, 52 Q '.)}. Il épousa le 3 mai 1812 Pauline Morin, institutrice, qui
pourrait bien être la « veuve Pont » qui, dans le récit de Papus, remit les archives
à Michel (larvanier, car ce détail n'a sûrement pas été inventé. L'ensemble
de ces présomptions est précis et concordant... il manque pourtant la preuve
décisive.
74 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS
Boccard qui avait entrepris la chose à ses frais mangea trois mille
francs.
« Le plus curieux, et c'était forcé, c'est que le clergé et les fr. maç.
furent furieux de cette publication » (g).
Telle fut donc l'origine de ces livraisons consacrées aux
Archives secrètes et tel fut, en cette affaire, le rôle de ce curieux
« Elie Steel ». La réalité on le voit ressemble bien peu au récit
« surnaturaliste » de Papus.
Mais jusqu'ici « Maret » n'apparaît guère que comme un
étudiant, devenu maire et qui aurait « mangé », comme dit
Bouchet, 3 000 F de 1893 dans l'aventure.
Si l'on y regarde de près, Maret est un personnage fort
attachant par sa destinée, et sur lequel je crois devoir livrer
aussi quelques renseignements qui inclineront à tout le moins
à méditer sur l'étrangeté de certaines rencontres.
* * *
A l'époque de la « découverte » des archives, en 1891,
Marie-Gabriel, dit Marius Boccard, est âgé de 22 ans. Après
des études brillantes à Belley puis au lycée Ampère de Lyon,
il fait sa médecine et soutiendra en 1897 une thèse, paraît-il
remarquée, sur « le traitement chirurgical de l'hydronéphrose
». La même année il retournera au pays natal, à Jujurieux
dans l'Ain, où il exercera son art avec dévouement et
acceptera toutes les charges publiques que ses concitoyens
lui confieront ; praticien désintéressé, il fut appelé le « médecin
des pauvres » et un monument lui a été élevé en témoignage
de gratitude1.
1) Je dois remercier tout particulièrement ici Mme Jean Boccard, de Jujurieux,
et surtout Mme Henri Bugnet, de Besançon, la fille du Dr Boccard,
qui, avec une extrême obligeance, a bien voulu me communiquer de nombreux
renseignements relatifs à ce dernier.
Boccard Marie-Gabriel, dit Marius, est né le 21 avril 1869 à Jujurieux (Ain),
fils de Joseph-Auguste, cultivateur, et de Claudine-Joséphine Bataillard,
ouvrière en soie. Marié à Lyon, le 1er avril 1902 avec Clémence-Rose Rangot.
Docteur en médecine. Décédé en son domicile au Grand-Champ, à Jujurieux,
le 23 août 1928.
Consulter :
— Le Docteur Boccard (1869-1928), Bourg, 1928 (Imprimerie Victor-Buthod),
« ELIE STEEL-MARET » /O
Je n'ai pu ■ savoir dans quelles circonstances il devint
l'ami de Bouchet, et pas davantage s'il s'affilia au Martinisme
et à la Franc-Maçonnerie ; en tout cas il déclara en 1899
n'être pas membre de cette dernière.
Ce qui est sûr, pourtant, c'est qu'il devait, partager les
vues d'Elie Steel sur la nature religieuse de la Franc-Maçonn
eriete as,se z pour engloutir une somme coquette dans. une
publication qui n'eût pas de lendemain.
Sans doute est-ce pour le dédommager que Bouchet lui
remit la totalité des archives qu'il; n'avait pas; vendues à*
Papus ; cette cession devait avoir lieu au 'plus tard; en 1894
puisque nous verrons: qu'en janvier 1895, Bouchet a dit à
ses correspondants qu'il ne possède plus rien2.
Or, à ce moment, des membres du Grand Prieuré d'Helvétie
vont une nouvelle fois essayer de retrouver les archives
de l'Ordre, comme leurs prédécesseurs avaient déjà tenté de le
brochure de 31 p. Tirage à part du Bulletin de la Société des Naturalistes et
Archéologues de VAin.
— Dictionnaire des parlementaires français (1889-1040), t. II, p. 640.
Pour donner une idée de la carrière politique du Dr Boccard, j'extrais de
cet ouvrage les précisions suivantes : « A partir de 1904, il est maire de Jujurieux
et depuis 1907, conseiller général de Poncin (Ain). Il se présente aux élections
législatives du 16 novembre 1919 sur la liste d'Union républicaine radicale et
démocratique conduite par Messiny. Mais les électeurs manifestent leur méconten
tementco ntre ce dernier, ancien parlementaire, en rayant son nom, ce qui
entraîne une baisse de la moyenne de la liste qui n'a qu'un seul élu, Antoine
Blanc. L'année suivante, Boccard perd la mairie de Jujurieux. Aux élections
générales du 11 mai 1924, il se présente sous la bannière du cartel des gauches,
qui gagne 20 000 voix et emporte quatre des cinq sièges à pourvoir. Il obtient
lui-même 37 985 suffrages sur 79 053 votants.
« Inscrit au groupe radical et radical-socialiste, il consacre son activité aux
travaux des commissions. Il fait ainsi partie de la Commission d'Hygiène dont
il devient secrétaire et de la Commission d'Assurance et de Prévoyance sociales.
Il est également nommé membre de l'Office national des Pupilles de la Nation,
et membre du Conseil supérieur des Sociétés de Secours mutuels. Marie-Gabriel
Boccard n'intervient pas en séance publique. En 1928, son état de santé ne lui
permet pas de se représenter aux élections législatives. »
Ecrits du Dr Boccard (d'après la Notice de la Société des Archéologues) :
— Etude sur le baron Amédée Maupetit.
— Elude sur Bichat.
— Origine de la famille des Savarin.
-- Vallée de VAin et de la Saône à Vépoque aurignacienne.
2) A plusieurs reprises, Bouchet affirme qu'il ne possède plus rien, après la
remise des documents à Boccard. Je. ne suis pourtant pas aussi sûr que Bouchet
n'ait conservé aucun document.
7G REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS
faire auprès do Joseph-Antoine Pont mais, comme eux, sans
succès.
Leur attention avait été mise en éveil par l'acquisition
qu'avait faite un des leurs, le chevalier Marc Henri, eques a
modeslia, des Archives secrètes qu'on bradait alors au prix du
papier, dans un bistrot lyonnais.
Aussitôt saisi, Joseph Leelerc, alors « préfet » de Genève,
et qui plus tard sera « Grand Prieur », entre en relations avec
Bouchet et fera même le voyage. Mais il est trop tard. Le
13 janvier 1895, Bouchet répond au chancelier d'Etat Leelerc
qu'il faut s'adresser à Marius Boccard, étudiant en médecine
à l'Hôtel-Dieu de Lyon (c). Une correspondance fort inté
ressante s'engagea pourtant, à la faveur de laquelle Bouchet
livre quelques précisions, non sans spéculer de manière un
peu choquante sur l'impécuniosité du jeune étudiant.
« Peut-être dans le courant de l'hiver pourrons-nous
décider M. Boccard à nous confier les archives... » ; « M. Boc
card est jeune (il a 26 ans), il est souvent dans le besoin
d'argent, il est probable que si on pouvait lui offrir une
somme à un certain moment il se dessaisirait de ses documents,
car il veut pour l'instant entrer dans son argent. Il a joint à
ces documents différentes trouvailles qu'il a faites concer
nantl 'Ordre... » (g).
Sur ce que furent ces trouvailles, ou du moins l'une d'entre
elles, on possède un témoignage de premier ordre recueilli
par Henry Joly1 qui rapporte que M. Justin Godard, ancien
ministre2, lui a confié un souvenir de jeunesse selon lequel
« vers 1892 un étudiant en médecine de ses amis lui avait
raconté que sa logeuse avait découvert, dans l'appartement
de la rue Sainte-Hélène où il occupait une chambre, une
grande malle pleine de documents maçonniques ». Ce camarade
était le Dr Boccard, le futur « Maret » des Archives.
1) Voir p. Г>4, ri. 1.
2) Le Dr Justin Godard ( 1871-1956) fut un des principaux organisateurs du
Service de Santé pendant la guerre de 1914-1918 ; plusieurs fois ministre sous la
IIIe République, il fut maire de Lyon à la Libération. Son nom est très souvent
cité sur les listes d'hommes politiques francs-maçons.
« ELIE STEEL-MARET » 77
Dans quel logis se trouvait cette malle ? Qu'on n'oublie
pas que la rue Sainte-Hélène est à mi-distance entre le quartier
d'Ainay où avait vécu Joseph-Antoine Pont, où vivait alors
Carvanier (son petit-fils se le rappelle fort bien) et l'Hôtel-
Dieu où Willermoz égara justement une malle pendant les
événements que l'on sait. Et l'on se prend à rêver, malgré
soi, à ces « autres trouvailles » : Boccard fut interne à l'Hôtel-
Dieu de Lyon... et s'il avait retrouvé la malle perdue par
Willermoz ? Je ne me hasarderai pas à répondre à cette
question, mais il paraît en tout cas légitime de la poser.
Toujours est-il que dûment introduits par Bouchet, les
frères helvétiques s'adressèrent à Marius Boccard pour savoir
ce que devenaient « leurs » archives. Il en résulta une corre
spondance fort courtoise, qui a de plus le mérite de nous ren
seigner sur les sentiments du docteur à l'égard de l'Ordre.
Sans doute les espérances mises en l'impécuniosité du
jeune homme furent-elles déçues, soit qu'il disposât de res
sources suffisantes, soit surtout qu'il possédât une assez exacte
conscience de la valeur de ces pièces pour ne pas s'en défaire
hâtivement, même dans une période critique.
Mais s'il ne céda rien, il réserva le meilleur accueil à
ses correspondants, ainsi qu'en témoigne l'extrait suivant
d'une lettre datée du 27 janvier 1899 : « Les lettres sont à
mon avis précieuses autant pour l'histoire de l'Ordre que pour
l'histoire générale de l'Europe. C'est à ce dernier titre que le
Père Thedenat, oratorien, membre de l'Institut, est venu en
prendre connaissance vaguement — pour me les faire acheter
par une bibliothèque de Paris. D'autres offres m'ont été faites
que j'ai également refusées. C'est vous dire que rien de cette
collection n'a été distrait, hormis ce qui a été vendu à Papus
et qui se composait exclusivement de la correspondance de
Pasqually. Je suis donc toujours à même de vous faire tenir
tous les renseignements qui peuvent vous être utiles ou
agréables. Ce me sera un véritable plaisir de répondre à
toutes vos demandes... » (h). Et surtout le docteur précise
dans un post-scriptum : « Je ne suis pas franc-maçon. Tout
78 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS
en préférant de beaucoup l'ancienne maçonnerie à la nouvelle,
je ne suis pas un adversaire. Vous pouvez ; donc m'écrire en
toute tranquillité d'âme... », ce que firent ses correspondants.
Il est enfin une dernière indication fournie par Bouchet
et qui mériterait d'être étudiée, s'agissant de Marius Boccard ;
exposant que ce dernier avait sacrifié 3 000 F à un -essai de
publication qui n'avait pas réussi, Elie Steel ajoutait : « II
conserve l'espoir de reprendre son oeuvre -(ce qui? laisserait
supposer que Boccard-Maret était le principal initiateur des
Archives secrètes) dans un fort volume in octavo, mais d'ici
quelques années... »
Je ne sais jusqu'à quel point, Boccard >: travailla? sur ce
projet... Animateur d'une Société Savante locale, le docteur
prisait assurément: l'érudition désintéressée et les patients
labeurs qui: produisent les monographies définitives, et sou
vent injustement méconnues. Toutefois, la- charge de' son
ministère médical qu'il assura de façon exemplaire, les nom
breux emplois publics qu'il devait accepter et une santé précairene
lui. laissèrent que peu de temps pour mener à bienson
projet.
A ce point, précisément, se pose une dernière question^
d'importance : comment ces archives, dont, le docteur fut
un dépositaire éclairé, passèrent-elles dans les mains d'un
collaborateur assez médiocre sur le plan de la compréhension
et des connaissances historiques, de la Revue internationale
des sociétés secrètes ?
Tout chercheur heureux (et je crois l'avoir été au coeur
d'une enquête dont le point de départ était de connaître
deux noms, sans plus) trouve sur son chemin une question
qui le contraint à l'aveu de son ignorance, le rappelle à
l'humilité. En l'occurrence, il a été impossible jusqu'ici de
déterminer comment tout ou partie des archives du Dr Boc
card arrivèrent entre les mains « d'Hiram » — le colonel
Ernest Bon — , dont, longtemps après, la bibliothèque fit
l'objet de la; vente d'Amsterdam évoquée en commençant.
Mme Bugnet, fille du = Dr Boccard, a eu la grande bonté
« ELIE STEEL-MARET » 79
de me confier quelques souvenirs sur cette affaire, dont il
ressort que le docteur avait prêté ces documents peut-être
pour permettre de les étudier ; or lorsque après son décès
sa veuve les réclama, en 1928, il lui fut répondu que les
archives avaient été rendues à Boccard qui, bien sûr, ne pou
vait infirmer le fait... curieuse affaire, en vérité, et qui ressemb
lerait fort à un détournement peu délicat. Mais à qui donc
Boccard avait-il confié ces pièces ?
Ce qui est sûr c'est que les documents publiés par Hiram
dans la R.I.S.S. d'abord, en un livre ensuite1 sont bien ceux
dont avait disposé Steel-Maret. Et dans la préface, Hiram
marque une singulière discrétion sur l'origine des archives qu'il
détient, disant simplement : «Ce qui nous met à même de faire
cette étude c'est que nous avons eu la bonne fortune de mettre la
main sur tout un dossier provenant des Archives du Directoire
Ecossais de la Stricte Observance et de la Loge La Bienfaisance
à ГО.*. de Lyon que J.-B. Willermoz, archiviste soigneux et
passionné, avait collectionnées, classées avec un soin jaloux. »
Mais sans doute serait-ce manquer à l'impartialité de
l'historien que de trouver, sans preuve, une curieuse saveur à
« mettre la main sur... ».
C'est donc sur cette ultime question que s'achèvera cette
étude ; il importe peu puisque, de toute façon, la question
principale, qui était de savoir qui était « Elie Steel-Maret »,
trouve une réponse satisfaisante.
Il est pourtant un dernier point qui doit être mis en
évidence, par-delà l'intérêt que présentent les mises au point
relatives aux faits et à l'archivistique.
Cette publication des Archives secrètes et son contexte
sont crûment révélateurs de la légèreté avec laquelle certains
occultistes de la fin du xixe siècle tentèrent d'accréditer des
« filiations » et des « traditions » de pure fantaisie, par l'util
isation abusive de documents authentiques.
1) Hiram, J.-B. Willermoz et le Rit Templier à l'orient de Lyon, Paris, 1935
(Fédération nationale catholique).
80 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS
Mais, simultanément, on est frappé par la réserve
d'hommes, comme Steel-Maret, dont sans doute les illusions
personnelles ne furent pas moins grandes que celles de leurs
contemporains, mais qui s'abstiennent de toute utilisation
à des fins personnelles des véritables « trésors » qu'ils
possédaient.
Sans doute ces deux attitudes se retrouvent-elles toujours
parmi ceux qui, à un titre ou à un autre, prétendent s'intéresser
à la Haute Science.
A témoin ces quelques lignes inédites du Dr Blitz, occultiste
renommé en son temps, et qui en s'appliquant à Papus,
rendent en quelque sorte hommage à l'attitude de Steel-Maret.
« Papus a fondé ce qu'on appelle aujourd'hui le papusianisme.
J'ai toujours considéré cet ordre nouveau comme un
collaborateur intelligent de la F.*. M.*., c'est même comme
maçon que j'ai tenu à m'affîlier à lui, me permettant ainsi
de propager parmi les profanes les sentiments maçonniques
sans manquer à mes obligations. Avant de me joindre à lui,
j'ai tenu à connaître les sources d'où Papus tirait son autorité
et je me suis trouvé satisfait de ses explications. Il y a là
malheureusement un secret qui n'est pas le mien, aussi je
ne compte pas ramener les dissidents au moyen de « docu
ments secrets » ; mais personnellement je suis parfaitement
édifié. Mais il y a autre chose : Papus n'est pas maçon ! Je
l'ai toujours ignoré, et je me félicite d'avoir toujours observé
avec lui la plus grande réserve au sujet de nos sublimes
mystères. J'avoue que j'aurais pu ne pas agir de la sorte
étant donné le chaleureux éloge que lui adressa « La Chaîne
d'Union » pour ses travaux maçonniques. J'étais convaincu
que, loin de ne pas être même un apprenti, Papus était un
maçon très éclairé.
« Je comprends maintenant pourquoi Papus ne voulait
pas se défaire de ses précieuses archives de Lyon et les
remettre entre les mains des FF.*, du Régime Ecossais
Rectifié à qui elles revenaient de droit ! ! ! ! J'avoue qu'à la
place du docteur, comme profane, j'eus (sic) fait de même (...)
« ELIE STEEL-MARET » 81
Ne tenant à la fraternité par aucun lien, je puis excuser
Papus de ne vouloir entendre parler de restitution. Ces
papiers sont bien à lui, il les a payés, il y tient. C'est de la
bibliophilie pardonnable... » (i).
Assurément n'était-ce que cela : de la bibliophilie pardon
nable et rien d'autre.
Jean Saunier.
Nomenclature des lettres inédiles citées dans celte élude
Bouchet à Papus (a) Du 25/11/1890, Bibliothèque de Lyon, Ms. 5488.
(b) Du 25/8/1891
Bouchet à Leclerc (c) Du 13/1/1895, Collection de l'auteur.
Bouchet à X... (d) Du 4/6/1895, Collection particulière.
(e) Du 16/9/1895 —
(f) Du 17/10/1895 —
(g) Du 6/11/1895
Boccard à X... (h) Du 27/1/1899 —
Blitz à X... (i) Du 19/111/1899 —

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