7/27/2011

TOLERANCE MACONNIQUE

Publications du Rite Mac:. de MISRAÎM
TOLEANCE MACONNIQUE
Conférencedu F/; Orateur
18 novembre 1897


Vénérable maître, Très chers frères,


Depuis quelque temps, les voix les plus autorisées s'élèvent l'une après l'autre pour annoncer tristement la prochaine décadence de notre institution. L'ingra­titude habituelle à la société moderne ne justifierait pas de telles craintes, car nos aînés ont souffert de dures persécutions sans que la bonne cause se soit jamais trouvée sérieusement compromise. Mais le danger qui s'affirme aujourd'hui n'a point d'analogue dans notre histoire. Ce n'est pas à la méchanceté des hommes, c'est à notre propre imprudence que nous le devons. Il faut bien le reconnaître : en aban­donnant cette haute culture des facultés humaines qui devait rester pour elle un souci constant, la Ma­çonnerie a largement ouvert aux passions profanes les portes de ses temples et voici qu'elle ne pratique plus elle-même cette universelle tolérance à laquelle elle voulait conquérir le monde.

 C'est pourtant à un respect absolu de la liberté morale que notre ordre a dû ses plus beaux succès. Sans remonter bien haut, ne voyait-on pas encore au siècle dernier les génies les plus divers porter avec orgueil le tablier d’apprenti ? Apôtres des idées nou­velles ou défenseurs zélés des vieilles doctrines, tous voulaient prendre part à ces travaux de haute phi­losophie qui devaient assurer un jour l’union des cœurs et des âmes. Aujourd'hui, il n’en va plus de même : de fort bons esprits hésitent à se joindre à nous, parce qu’ils ne nous ont pas toujours vu res­ter fidèles à notre programme.

            On se plaît à répéter que la lutte a ses exigen­ces et qu’en face d'adversaires sans loyauté, toutes les armes sont bonnes, mais quelle étrange justification ! Et de quel mépris ne témoigne-t-elle pas à l’égard de nos traditions les plus sacrées ! Ce qu'il faut combattre, n’est-il pas vrai, ce ne sont pas des hommes, mais bien des passions dont ces hommes sont esclaves : quel succès peut-il donc espérer, celui qui ne prend soin tout d'abord de s’affranchir lui­-même ? Et puis, ne l’oublions pas, ceux-là seulement n’hésitent devant aucune manœuvre qui sentent la victoire leur échapper. On ne sacrifie sa conscience, on ne vend son âme qu’aux heures de désespoir. Or, il est impossible que le triomphe final du bien soit douteux pour aucun de nous, car celui qu'un tel scep­ticisme aurait saisi ne serait plus maçon. Sans doute, aujourd'hui comme hier, les pires instincts peuvent s’unir pour d'horribles attentats, mais qu’importe, puisque leur règne ne durera jamais plus d'un jour ! Notre foi dans les destinées de l’humanité est inébranlable. L'évolution de l'espèce peut être lente aux yeux de l’individu, elle n’en est pas moins certaine. Quant à notre institution, tant que nous ne travail­lerons pas nous-mêmes à la détruire, les dissolvants les plus énergiques ne pourront rien sur elle car elle est le dernier anneau de la grande chaîne d'or qui rattache l'avenir au passé.

 Ne pouvant douter de nos forces, d'où vient donc que nous manquons si souvent de sang-froid ? Pour­quoi l'aspect de l'obstacle à vaincre nous porte-t-il à la violence, au lieu d'exciter simplement notre ac­tivité ? Pourquoi la sottise des uns, l’injustice des autres nous irritent-elles, nous qui cherchons, pour les détruire, toutes les formes de l’erreur ? Est-ce la passion même de la vérité qui nous égare ? Ceux qu'éclaire la lumière divine n'ont-ils pu résister au désir de la répandre en tout lieu, au risque d'aveu­gler à jamais des yeux trop faibles pour de si purs rayons ? Il serait à souhaiter, mes Frères, que nous ayons péché par excès de zèle, mais nos regrets se­ront, hélas! d'un autre ordre. Loin de nous attacher trop étroitement à la science traditionnelle, jugeant sans doute pénible les efforts qu’exige à toute heure son intelligence intégrale, nous n’avons pas craint de substituer à l'expérience des siècles notre expérience d'un jour et voilà l'unique cause de nos dé­ceptions. Si le serment prêté semble à beaucoup difficile à tenir, c'est qu'ils ont négligé d'en étudier la formule. Si l'impartialité absolue leur paraît im­possible à garder, c'est qu'ils ne savent plus au nom de quelle loi prononcer leurs jugements. Il est nécessaire, pour s'en convaincre, de bien définir cette tolérance dont le règne a si malheureusement cessé et d'éviter certaine confusion en laquelle notre siè­cle paraît se complaire.

La mode est aujourd'hui fort répandue de rester impassible en face des crimes les mieux caractéri­sés comme d'écouter sans trouble les plus mauvais paradoxes. L'indignation vertueuse ayant été jugée de mauvais goût, on pardonne les fautes commises en accusant la nature de les avoir exigées, comme si la nature n'était pas simplement le champ toujours ouvert à l'exercice de nos facultés. La vie, dit-on volontiers, n'est-elle pas trop dure, pour qu'on ajou­te aux difficultés matérielles des obstacles tirés d'une prétendue loi morale ? Et, puis, la science moderne n'a-t-elle pas à tout jamais ruiné la vieille concep­tion du libre arbitre ? Hérédité, influence du milieu, lutte pour la vie, ne voilà-t-il pas de quoi justifier les pires défaillances ? Tant il est vrai, mes Frères, que grâce à une imprudente vulgarisation, l’idée devient parfois la servante des instincts ! Mais de tels abus sont de tous les temps et, pour les avoir commis à son tour, notre époque ne mérite pas l’anathème.

D'ailleurs, en bonne justice, l'intention n'importe pas moins que l'acte lui-même et certes, si les ten­dances nouvelles étaient nées d'un véritable esprit de charité, si leur unique effet devait être d'amener l'association humaine à châtier sans colère, à répri­mer avec douceur, il faudrait se réjouir d'un tel pro­grès. Malheureusement, l'apparente générosité dont nous sommes témoins n'est guère qu'une impuis­sance déguisée. Privé de toute culture philosophique, ne pouvant tirer aucun enseignement du passé, ne se sachant pas responsable de l'avenir, le monde accueille tout ce qui s'offre à lui, action ou pensée, avec indifférence. C'est assez pour satisfaire quel­ques optimistes peu clairvoyants, mais pour nous, quel que soit notre désir d'universelle harmonie, nous ne croirons pas aussi vite à l'apaisement des passions. Nous ne prendrons pas le dédain de l'igno­rant pour l'indulgence du sage, nous n'appellerons pas tolérance un scepticisme sans valeur.

 Un homme qui s'efforcerait de ne plus penser, de ne plus rien croire et de ne plus rien vouloir, afin d'éviter tout conflit avec ses semblables, se tromperait, certes, grossièrement. Il sentirait son cœur se fermer peu à peu à toute espèce d'affec­tions ; satisfaire ses besoins matériels deviendrait son unique souci, et c'est à l'égoïsme absolu qu'il parviendrait en fin de compte. Pour devenir juste et bon, il faut au contraire s'intéresser à toutes les manifestations de l’activité humaine et chercher à reconnaître en chacune d’elles le vrai, le beau et le bien qui peuvent y être contenus. Mais cette curio­sité sympathique ne va pas sans une science pro­fonde et, s’il faut tout dire, l'impartialité parfaite n'appartient qu’aux initiés puisqu’eux seuls possèdent la vérité suprême.

Ici, une comparaison s'impose, bien simple et bien claire. Que faut-il pour qu'au sein d'une grande nation, les intérêts de tous soient sauvegardés ? Il faut des magistrats libres et instruits, qui ne tremblent devant personne, mais qui sachent déterminer exactement les droits de chacun, qui n'appartiennent à aucun parti tout en connaissant les besoins des différentes classes sociales. De même, pour juger les doctrines qui se partagent la foi de l’humanité, il faut des esprits hardis et cultivés qui n'hésitent devant aucune étude et que des connaissances d'or­dre supérieur guident dans leurs recherches. Ces deux conditions sont également nécessaires et la bonne volonté serait inutile où la science ferait défaut. Comment se prononcer sur un essai méta­physique, si on ne possède une vue synthétique de l’univers ? Comment apprécier un système politique, si on ne se fait une idée nette de la société idéale ? Comment enfin examiner une doctrine religieuse si on n’est pas encore parvenu à une conception raisonnable du Grand Architecte des Mondes ? La société antique ne s'y trompait pas et pour s’assurer des chefs capables de la diriger, donnait une instruction vraiment complète à ceux qui s’en montraient dignes. Il nous appartient de rebâtir ces écoles modèles où le développement des facultés humaines était poussé si loin.

 Nous sommes aujourd'hui les seuls héritiers des civilisations mortes. Les vieux sanctuaires abolis, la pensée des sages a pris nos demeures pour asile et dès lors les choses et les êtres nous sont apparus sous un aspect nouveau. Les nombres nous ont laissé surprendre leur intime signification. Nous avons pu concevoir la gradation hiérarchique ternaire qui règle la constitution du monde et de l’homme, retrouver l’unité de la Raison suprême à travers le dualisme qui caractérise la vie, reconnaître la réalisation progressive de l’idéal divin sous la lutte apparente du bien et du mal. Nous n’ignorons plus ni la puissance de la parole, ni la force créatrice de l’imagination. Nous savons enfin comment la Volonté humaine peut se faire obéir de la Nature. Voyez, mes Frères, de quelle hauteur l’initié va descendre, l’homme qui a vu flamboyer l'étoile du mystère ne participera plus, à moins d'une étrange folie, aux œuvres de ténèbres.

Mais ce n'est pas tout. En même temps que la science elle-même, la méthode nous fut transmise qui seule fait des savants. Il ne s’agit pas ici d’imposer à la mémoire quelques formules plus on moins heureuses ; c'est l’être entier qui doit en quelque sorte s’imprégner de la vérité. De là ce symbolisme merveilleux qui s’adresse à la fois aux sens, à l’en­tendement et à l'intelligence. S'il faut quelques exemples, est-il difficile de trouver dans le triangle et les colonnes du temple les principes philosophi­ques essentiels dont nous parlions tout à l’heure ? Le compas et l'équerre, la perpendiculaire et le ni­veau ne résument-ils pas, à eux seuls, une morale et une sociologie parfaites ? L’épreuve par les élé­ments n'attire-t-elle pas notre attention dès le pre­mier jour sur les quatre modalités de l'agent uni­versel, objet de toute physique ? Certes, il y a là une synthèse propre à satisfaire l'esprit le plus exi­geant et si quelque danger accompagne une sembla­ble révélation, c'est bien l’orgueil qu'elle peut faire naître au cœur du nouvel adepte. Mais cet orgueil même, ne nous pressons pas trop de le maudire. A défaut de sentiments plus élevés, c'est lui qui con­tiendra les instincts rebelles à une volonté impar­faitement développée. C'est grâce à lui que le savant encore timide trouvera un noble emploi à ses forces et s'élèvera peu à peu au-dessus des désirs grossiers et des jugements iniques. Plus tard, l’âme devenue maîtresse d'elle-même saura bien se débarrasser de cet orgueil désormais inutile et la tolérance trou­vera dans le cœur du sage de moins compromet­tants défenseurs.

Personne en effet ne peut espérer rompre d'un coup avec l'injustice. Il faut se fatiguer longtemps avant de connaître la valeur de l’effort et le plus heureux résultat de la difficulté vaincue, c'est d'ap­prendre à juger sans rigueur ceux qui ont lutté courageusement avec des succès divers. On se montre moins exigeant en matière de morale, quand on a senti l'égoïsme maudit s'opposer aux plus nobles mouvements de l’âme, moins dédaigneux en matiè­re de science, quand on a vu l'erreur se glisser sournoisement au milieu des recherches les plus précises, plus indulgent en matière de religion quand on sait quelles étranges rêveries le seul désir de la foi peut mêler aux inductions les plus logiques. Une part de notre respect appartient à tous les hommes de bonne volonté, à tous les ouvriers du temple futur, aux moins habiles comme aux plus adroits. Si nous tenons à être sévères malgré tout, que ce soit à l'égard des esprits négatifs qui ont détruit sans songer à rebâtir. Ceux-là, on ne peut guère les aimer, mais encore faut-il ne pas oublier que leur œuvre était une conséquence inéluctable de l'imperfection générale. Les philosophes et les historiens modernes ont entrevu la vérité, en recon­naissant que tels désastres dont un malheureux avait répondu au prix de son honneur ou de sa vie avaient eu pour cause réelle l'imprudence d'une nation on d'une race. Mais nous en savons plus à ce sujet que les profanes n'en peuvent deviner et nous l'affirmons sans crainte : chaque fois qu'un juste est mort pour la bonne cause, c'est l’humanité tout entière qui l'a tué. La loi, du reste, est en quelque sorte réversible ; l'effort et la douleur d'un homme servent au développement de tous les peuples. Telle est cette notion de solidarité absolue dont l'esprit de charité et l'esprit de justice découlent logique­ment, et qui, bien comprise, fait voir dans l'intolé­rance une simple absurdité.

L'erreur existera tant que les hommes ne se seront pas unis pour appeler la vérité de toute la force de leur désir. Si nous pouvions examiner l'une après l’autre les différentes doctrines qui ont su sortir de l'ombre, nous reconnaîtrions dans chacune d’elles deux portions bien distinctes, l’une faite d'idées secondaires, intéressantes seulement pour le siècle qui les a vu naître et souvent fausses, l'autre, ex­pression plus ou moins pure de quelque sublime notion. Il en est ainsi non seulement pour les phi­losophies dont les auteurs ont eu des rapports cer­tains avec quelque centre d'initiation, mais pour tous les systèmes logiquement construits, non seulement pour les religions inspirées à leur origine par l'es­prit même qui nous guide encore, mais pour toutes les croyances des peuples civilisés. Dans chaque doc­trine, il y a un peu de cette science que la Maçonnerie possède en entier et qu'elle saura répandre autour d’elle quand de nombreux essais de synthèse auront préparé les esprits pour une révélation com­plète. Rejeter comme inutile et sans examen sérieux l’un ou 1'autre de ces essais serait donc bien à la fois injuste et maladroit.

Il faudrait maintenant rappeler à ceux qui ne s’en souviennent plus que le respect de la conscience d'autrui est nécessaire à l’harmonie sociale. Il fau­drait enfin, après avoir parlé à la raison, s'adresser au cœur et lui faire reconnaître dans la tolérance une forme de l’amour. Mais il nous suffit, pour l’instant, d’avoir signalé un oubli de nos devoirs qui menace de nous perdre et qui provient, on a pu s'en convaincre, d'une fausse direction donnée à nos travaux. Personne ici ne songe à faire le procès de tel ou tel atelier. Ce serait méconnaître cette loi de soli­darité, qui, si elle, est vraie pour le genre humain, l'est a fortiori pour notre institution. Ce que nous proclamons, c'est la nécessité pour la Maçonnerie tout entière d'étudier plus sérieusement son dogme et ses symboles. Là est le salut pour elle et pour les principes dont elle a la garde. Le chemin tracé par la sagesse antique conduit aux plus hautes vérités intelligibles. A nous de nous élever chaque jour pour atteindre enfin ces cimes baignées d'air pur où les passions, humaines ne sauraient nous suivre.

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