Le N° 415 du mensuel OECUMENISME
INFORMATION du mois de mai 2011, reprend un article de Michel EVDOKIMOV intitulé La Parole de Dieu dans la liturgie, paru dans le SOP du mois de mars.
Il convient une fois encore de dire notre surprise et notre
regret dans le constat de voir affirmé que c’est l’épiclèse qui consacrerait, pour le croyant, les Saintes Espèces.
L’auteur de l’article écrit : « Toute prière où nous demandons au Père de
nous envoyer l'Esprit pour rendre la
Parole vivante en nous, se nomme « épiclèse » (en grec :
invocation). Non seulement elle introduit les offices liturgiques ou oraisons
personnelles, mais elle atteste l'efficacité du sacrement. » (§L'épiclèse
ou l'envoi de la Parole)
Dans le
paragraphe intitulé Épiclèse
évangélique et épiclèse eucharistique, Michel EVDOKIMOV
écrit : « À l'épiclèse avant la
lecture de l'Évangile dans la liturgie de la Parole correspond, dans la liturgie
eucharistique, la grande épiclèse au moment de la transformation du pain et du
vin en corps et sang du Christ : « Nous t'offrons encore ce culte véritable et
non sanglant et nous t'invoquons, nous te prions et nous te supplions : envoie
ton Esprit Saint sur nous et sur ces dons que voici : et fais de ce Pain le
Corps précieux de ton Christ (l'assemblée répond "Amen!"), et de ce
qui est dans ce calice le Sang précieux de ton Christ ("Amen !").
Opérant ce changement par ton Esprit Saint (triple "Amen !"). » Cette
épiclèse eucharistique se situe après les paroles de l'institution (« Ceci est
mon corps..., ceci est mon sang... »), elle vient attester la réalité du
miracle eucharistique, le rendre efficace. »
Sont-ce pour les fidèles de l’Eglise
Apostolique et Indivise les Paroles de l’Institution qui consacrent les Saintes
Espèces par ce Mystère que les Latins nomment transsubstantiation, ou
l’invocation de l’Esprit Saint ?
I
Le catéchisme orthodoxe Dieu
est vivant est très précis
sur le sens de l’Epiclèse en déclarant : « C’est le Saint Esprit qui viendra dans cette troisième partie de
la prière d’anaphore accomplir et sceller ce grand mystère trinitaire qu’est
l’Eucharistie. En effet, commémorer le sacrifice du Christ ne servirait à rien
si nous n’obéissions pas à son ordre : « Prenez et mangez … » (1)
Devons- nous comprendre que les Paroles de l’Institution commémorent
seulement le Sacrifice de NSJ+C ? Cette approche rejoint la pensée des
mouvements Protestants qui perçoivent dans la Sainte Cène une triple
finalité :
-
Une
confirmation de la foi en Jésus+ Christ
-
Une
confession publique
-
Une
exhortation éthique
Jean
CALVIN
en son Petit traité de la sainte cène déclare notamment : « Si nous ne confessons pas que Jésus Christ est le seul Sacrificateur,
que nous appelons communément Prêtre, par l’intermédiaire duquel nous sommes
mis au bénéfice de la grâce du Père, nous le dépouillons de son honneur et lui
faisons grande injure. » (2), et d’ajouter : « Car il n’est pas seulement dit que le sacrifice du Christ est
unique, mais qu’il ne doit jamais être réitéré, parce que l’efficacité en demeure
toujours. » (3)
Il ne convient pas dans le cadre de cette
présente réflexion de nous attarder sur
les pensées issues du Protestantisme, mais de nous interroger, avant d’aller
plus outre, sur le sens que l’on doit donner au mot Sacrifice employé et par
les rédacteurs du catéchisme orthodoxe et par Calvin.
Convient-il sans cesse de rappeler qu’il
est deux sacrifices, l’un expiatoire, l’autre propitiatoire ? Jésus+
Christ a bien voulu réaliser l’unique Sacrifice expiatoire en portant et
expiant tous nos péchés, la
Divine Liturgie ou Sainte Messe constituant un Sacrifice
propitiatoire en communion dans un temps hors du Temps, à l’unique Sacrifice
accompli par le Christ !
De la sorte, les débats ou querelles sur
la notion de « commémoration » réelle ou non, tombent
d’eux-mêmes ! Il ne s’agit pas d’une commémoration mais d’une
actualisation dans le temps qui est le nôtre, du Sacrifice unique accompli dans
un temps certes humain (parce qu’accompli pour les hommes) mais cela à travers, en fait, le Temps de Dieu que nous
ne saurions nous accaparer et inconnaissable sauf à ceux qui sont déjà dans Le
Royaume.
II
Saint Jean
Chrysostome
ne manque pas de rappeler : « Ce
n'est pas un homme qui fait que ce qui nous est offert soit véritablement le
corps et le sang de Jésus-Christ, mais c'est ce même Christ qui a été crucifié
pour nous. Le prêtre, à l'autel, lorsqu'il prononce les paroles n'est que la
figure de Jésus-Christ; la vertu et la grâce viennent de Dieu qui agit quand le
prêtre dit: Ceci est mon corps.
Ces mots transforment ce qui est offert. » (4)
Il convient de prendre acte de ce que déclare le Père de
l’Eglise : ce sont les Paroles de l’Institution, il n’est pas alors
question d’épiclèse !
Alors que les Paroles de l’Institution
suffisent et consacrent les Saintes Espèces,
Il convient toutefois de ne pas négliger l’importance de l’épiclèse
qui, si elle n’intervient pas pour la consécration des Saintes Espèces, est
peut-être bien le principal « moyen » de permettre aux fidèles
de participer à l’anticipation du Huitième Jour.
Pour l’Eglise Byzantine, la Sainte Messe ou
Divine Liturgie n’est pas seulement occasion de recevoir le Corps et le Sang de
Notre Seigneur, ce sacrement fait entrer la communauté dans l’espérance du
Royaume sinon dans son anticipation.
Alors que par la Chute, l’Esprit
quitte le monde, ce monde dont le Christ ne conteste pas qu’il soit
provisoirement à Sathan (Jean XVIII, 36)
et qui sera restitué au Père lorsque l’Esprit reviendra dans le monde (Jean XIV, 26), au soir de la Résurrection,
l’Eglise se trouve dépositaire de l’Esprit Saint ( Jean XX, 22 ), cette première manifestation qui fut sauf dans la
tradition Byzantine, relativement occultée, la Pentecôte Johannite préparant
la Pentecôte
des Actes.
Ainsi, l’Esprit Saint est présent dans l’Eglise et de fait
dans les Sacrements qu’elle administre,
en ce qu’ils sont autant de moyens offerts par le Rédempteur pour aider
l’être à se sanctifier et par ce biais à hâter l’avènement du jour de Dieu ( II Pierre III, 11,12 ).
Il convient de souligner que
l’invocation de l’Esprit Saint repose sur la conscience que ce n’est pas le
célébrant qui, de par sa qualité d’homme ordonné, réalise le Mystère, mais que
le Sacrement s’accomplit par le ministère de la Grâce : Nicolas Cabasilas ne manque pas de le
rappeler dans son Explication de la
Divine liturgie : « Dans chaque cas particulier, le célébrant n’est que le
serviteur de la grâce. » (5).
Si l’épiclèse ne consacre pas les
Saintes Espèces comme le rappelle Jean Chrysostome, que ce sont bien les
Paroles de l’Institution qui permettent l’actualisation du Mystère dans un
temps hors du Temps à l’unique Sacrifice accompli par le Christ, il n’en
demeure pas moins que l’épiclèse comme invocation de l’Esprit Saint sans
parfaire le Mystère de la
Divine Liturgie, manifeste d’une part l’humilité du célébrant
reconnaissant que Dieu seul agit, mais aussi, par cette invocation de l’Esprit
revenu dans le monde, permet aux fidèles de prendre conscience qu’ils entrent
par ce Mystère dans l’anticipation du Huitième Jour : « N’éteignez pas
l’Esprit » (II Thes. V, 19) comme le demande Paul,
car ne l’oublions pas, Le royaume de Dieu est au milieu de
vous » (Luc XVII, 21).
Jean-Pierre
BONNEROT
------Notes :
1 Dieu est vivant, catéchisme pour les
familles par un groupe de théologiens orthodoxes, Paris Cerf Ed, 1979, page 324.
2 Jean CALVIN : Petit traité de la sainte cène, Lyon, Olivétan Ed, 2008, page 62
3 Jean CALVIN, op. cité, page 63.
4 Jean Chrysostome Première homélie sur la trahison de Judas §6,
Œuvres complètes, tome 3, Bar-Le-Duc, L. Guerin Ed, 1864, page 197. Signalons
que l’abbaye St Benoît de Port Valais a édité un CD offrant de nombreuses OC de
Pères dont ce théologien, St Augustin, St Bernard, etc.
5 Nicola CABASILAS : Explication de la Divine Liturgie
§ XLVI.10, Paris,
Cerf Ed ,1967, coll. SC, page 263
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