5/09/2017

Ballanche et la figure romantique de l'homme universel.



De l’autobiographie à l’historiosophie Ballanche et la figure romantique de l’homme universel
De lautobiographie a lhistoriosophie
Ballanche et la figure romantique de lHOMME UNIVERSEL
Daniel S. Larangé Åbo Akademi
Abstract (En): The metaphor of the universal man merges with the providential man in the French romanticism. The example of the Ballanche’s use of this figure is characteristic for the whole period: the writer embodies a pattern of the society and his life and thoughts reflect the time he lives in. This identification stems from the close relationship developed between the "i" and the world. This link allows to use autobiography as a historiosophical resource. The poetic activity can claim to political legitimacy: the poet becomes a prophet of his time.
Keywords (En): Pierre-Simon Ballanche; Romanticism; Historiosophy; Universal man
Resümee (d): Die Metapher des universellen Menschen fusioniert mit der Vorstellung der Inkarnation des Weltgeistes in der französischen Romantik. Das Beispiel der Verwendung dieser Figur bei Pierre-Simon Ballanche ist charakteristisch für eine bestimmte Epoche: der Schriftsteller verkörpert ein Modell der Gesellschaft und sein Leben und seine Gedanken sind Überlegungen zu seiner Zeit. Diese Identifikation ergibt sich aus der engen Beziehung zwischen dem "Ich" und der Welt. Diese Verknüpfung ermöglicht die Autobiographie als historiosophische Quelle zu verwenden. Das poetische Schreiben kennzeichnet seine politische Legitimität: Der Dichter wird zu einem Propheten seiner Zeit.
Stichworte (De): Pierre-Simon Ballanche; Romantismus; Historiosophie; Universelle Mensch
Et tout ce cri de l’homme universel semblait se résumer dans le cri échappé sur Golgotha par le Médiateur :
« Pourquoi m’avez-vous abandonné ? »
Mais Dieu ne dispute point comme jadis il avait disputé avec Job, son serviteur. Une immense clarté intellectuelle descendit sur le genre humain.1
Pierre-Simon Ballanche (1776-1846), qui a consacré sa vie et son œuvre à méditer sur la place de l’homme dans la société et à résoudre le « scandale » de la Révolution française de 1789 en accord avec la théodicée, s’est peu à peu imposé comme référence intellectuelle et morale tant pour les penseurs sociaux les plus réactionnaires du Groupe de Coppet que pour les plus utopistes des progressistes comme Charles Fourier, Claude Henri de Rouvroy de Saint-Simon ou Auguste Comte.
En effet, son illuminisme2 le conduit à penser le politique en étroite relation avec son propre destin, établissant ainsi l’hypothèse qu’il existerait un rapport
Pierre-Simon Ballanche, Vision d’Hébal : chef d’un clan écossais, Paris, Jules Didot, 1831, p. 107-108.
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« mystique »  fondé   sur   l’analogie   entre   les   événements   marquant   sa   vie personnelle et les péripéties de l’Histoire.
Il s’agit de montrer comment cette conception de l’individualité universelle, formée chez le « philosophe inconnu » Louis-Claude de Saint-Martin, se propage dans le romantisme social au point de précipiter certains penseurs dans la paranoïa ou dans la schizophrénie. En amont, l’analyse de quelques passages emblématiques extraits de l’œuvre philosophique et de la correspondance de Ballanche montre comment le « moi » de l’artiste romantique se fond dans le monde. En aval, les lectures que font les penseurs sociaux de cette œuvre et l’application de cette analogie entre vie personnelle et événements politiques transforme tout projet biographique en historiosophie. Cette analogie est au cœur d’une poétique du politique et annonce l’avènement d’une humanité réconciliée, où l’homme n’est plus qu’un membre à part entière du corps social.
Le Moi et le monde
Aux penseurs des Lumières s’ajoute et s’oppose dans un jeu d’attractions et surtout de réactions, toute une génération d’illuministes, notamment originaire des loges lyonnaises, selon une tradition remontant à Joaquim de Flore. Leur point d’accord demeure la Révolution française. Alors que les Lumières imposent la raison sur l’esprit, les illuministes donnent raison à l’esprit, l’Esprit saint et la Providence3. Louis-Claude de Saint-Martin, Maine de Biran, Joseph de Maistre, Pierre-Simon Ballanche, Félicité de Lamennais sont animés d’un profond sentiment de piété, d’un ardent désir de rétablir le christianisme dans son aspiration sociale et la philosophie de l’histoire – l’historiosophie –, dans leurs prérogatives. D’où le rayonnement universel de leurs œuvres. Leurs pensées, influencées par la découverte des spiritualités indiennes, approfondies par la lecture des philosophes tels que Baader et Schelling, finissent par se confondre dans l’esprit du lecteur, par susciter une profonde soif métaphysique et des convictions favorables à l’Église catholique, bien que cette dernière se méfie de la hardiesse de leurs représentations et de la récupération des dogmes par des penseurs laïcs qui s’érigent en théologiens.
Certes, les influences tracent des traditions sinueuses et incertaines. Saint-Martin redécouvre Jacob Boehme, Maine de Biran s’inspire de Johann Gottlieb Fichte, et Ballanche socialise les conceptions scientifiques de Giambattista Vico et Charles Bonnet. Ces auteurs ont le mérite d’élever les spéculations trop complexes et érudites de leurs sources, les éclairant de leur lucidité, les rendant intelligibles et leur conférant ainsi un caractère universel, immédiatement accessible à une élite.
Il s’agit d’un courant de pensée philosophique et religieux du XVIIIe siècle qui se fonde sur l’idée d’illumination, à savoir d’une inspiration intérieure directe de la divinité, et ce en réaction à l’esprit matérialiste des philosophes encyclopédistes. L’illuminisme propose une lecture des textes chrétiens à la lumière du néo-platonisme, mettant l’accent sur l’intériorité de la quête mystique, et rejetant les formalités scolastiques. Le romantisme et le symbolisme y puisent leur conception du monde comme universelle analogie.
Henri de Lubac, La Postérité spirituelle de Joachim de Flore – 1 : De Joachim à Schelling, Paris/Namur, P. Lethielleux, 1979. Antoine Faivre, Accès de l’ésotérisme occidental, Paris, Gallimard, 1986, p. 94-97.
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Grâce à leurs efforts et à l’engouement de leurs disciples, et quels que soient les courants politiques ou idéologiques, le « sacrifié de Nazareth », relégué dans les caves des sacristies, pis encore, promu gendarme-chef par le Concordat de Bonaparte, redevient le véritable héraut du sentiment religieux. Discuté ou révéré, controversé ou idéalisé, le Christ n’a jamais été autant présent dans la prose laïque que sous la plume des romantiques4. Ce nouveau « tournant christologique » qui détrône et rétablit Jésus dans son extraction populaire reconfigure le catholicisme et ses interprétations au cours de la Restauration5.
Cette présence est intimement liée à la recherche du Moi. Or ce Moi, si équivoque et polymorphe, désigne la conscience, notamment la prise de conscience de l’être dans son inscription cosmique et de l’individu dans son rôle social. L’angoisse métaphysique que cette enquête soulève conduit l’homme du XIXe siècle à se lancer à la conquête de l’amour, de l’argent ou des pouvoirs. Le questionnement du Moi aboutit finalement à retrouver les grandes interrogations platoniciennes, à les actualiser, en particulier le rapport problématique de l’Un et du Multiple, de l’individu face à la collectivité6. Pour une élite en quête de son âme, le problème du Moi constant dans un monde en bouleversement devient crucial. L’âme individuelle a un rôle à tenir dans le fonctionnement même de ce que Schelling va définir en 1798, sous l’intitulé De l’âme du monde, l’extension et la rétraction de l’Absolu7 et que Goethe popularise, sous un revêtement scientifique, par la dialectique de la diastole et de la systole de l’âme du monde8, correspondant aux flux et reflux du lac de Bienne, au centre duquel se trouve l’île Saint-Pierre de Jean-Jacques Rousseau9.
La détermination de l’âme et du Moi s’accompagne de l’émergence du sujet dans le temps et l’espace. Le XIXe siècle voit se développer le concept de sujet, notamment chez Hegel, dans l’Histoire et la reconnaissance de la figure du « grand homme » qui incarne finalement l’esprit d’une nation. Or le « grand homme » est dans l’Histoire ce que le gentilhomme ou l’aristocrate est dans la société : un pôle de gravitation entretenu par l’attraction qu’il exerce et les répulsions qu’il suscite. Le sujet historique est nécessairement polémique en ce qu’il concentre en lui l’universel par la négation de son particularisme.
Quelle place l’homme occupe-t-il dans l’univers, et par conséquent celle du Moi dans l’Histoire ? Cette interrogation, Ballanche se la pose dans la lettre qu’il adresse à son ami Claude-Julien Bredin le 1er juillet 1831 :
Xavier  Tilliette, Jésus romantique, Paris, Desclée, 2002. Frank Paul Bowman, Le Christ
romantique, Genève, Droz, 1973.
Auguste Viatte, Les Interprétations du catholicisme chez les romantiques, Paris, E. de Boccard,
1922.
Michel Brix, Le Romantisme français : esthétique platonicienne et modernité littéraire, Leuven,
Peeters, 1999.
Friedrich Wilhelm Joseph Schelling, Von der Weltseele: eine Hypothese der höhern Physik zur
Erklärung des allgemeinen Organismus, Hamburg, F. Perthes, 1798.
Johannes Wilhelm Goethe, Zur Fahrbenlehre §739, München, Deutscher Taschenbuch Verlag,
1965, p. 26. Jean Lacoste, Goethe, science et philosophie, Paris, Puf, 1997, p. 39-41. Harald
Siebert, Newton et Goethe : deux approches de la nature à l’exemple des phénomènes de la
couleur, Paris, Books on Demand, 2009, p. 191.
Jean-Jacques Rousseau, Les Rêveries du promeneur solitaire, in : Œuvres complètes – tome 1, dir.
Bernard Gagnebin, Robert Osmont et Marcel Raymond, Paris, Gallimard, 1959, p. 1040.
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La vie de l’homme sur la terre est-elle une épreuve ? Est-elle une éducation ? Ou bien simplement un rêve ? Voilà la grande question.10
Toute l’œuvre de Ballanche s’emploie donc à y répondre11. Or le fait que cette
problématique  soit  présentée  à  un  éminent  médecin,  directeur  de  l’École
vétérinaire de Lyon12, témoigne d’un véritable souci de scientificité, d’autant plus
que tous deux sont indissociables d’une troisième éminence grise à Lyon : le
physicien   et   mathématicien   André-Marie   Ampère,   dont   la   théorie   de
l’électromagnétisme formulée en 1827 suscite l’imagination d’un grand nombre
d’illuminés qui y voient la démonstration positiviste de principes universels, tant
sur le plan physique que spirituel et social13. Tous trois sont proches de la loge
maçonnique des Maîtres Réguliers de Lyon spirituellement affiliée à celle des Élus Coëns14.
Le discours mystique embrasse les progrès scientifiques qu’il emploie comme les preuves nécessaires aux épreuves que l’initié doit surmonter pour expérimenter le Savoir. Il faut que la vie personnelle et insignifiante passe par l’alambic des lois scientifiques pour en extraire un principe d’universalité. Depuis Newton, la science est mise au service du Grand Œuvre et occupe une place importante dans le discours maçonnique15. C’est pourquoi Ballanche et la plupart des mystiques sociaux qui lui sont contemporains sont attentifs aux théories scientifiques, le monde physique servant d’armature externe au monde spirituel. L’intimité se lit dans une concentration des phénomènes de surface en ce qu’elle est la quintessence des sens, des idées et des opinions de la société.
Claude-Julien Bredin, Un ami de Ballanche : Claude-Julien Bredin (1776-1854) : correspondance philosophique et littéraire avec Ballanche, Paris, E. De Broccard, 1927, p. 287.
La meilleure présentation de la philosophie de Ballanche reste l’ouvrage de Gaston Frainnet : Essai sur la philosophie de Pierre-Simon Ballanche précédé d’une étude biographique, psychologique et littéraire, Paris, Alphonse Picard, 1903.
V. Krogmann et P. Jaussaud, « Biographies historiques des enseignants célèbres de l’École vétérinaire de Lyon : 4. Claude-Julien Bredin, un directeur libéral (1776-1854) », Revue de médecine vétérinaire 148 No1 (1997), p. 19-22. Louis Trénard, Lyon : de l’Encyclopédie au préromantisme, Paris, Puf, 1958, p. 694-697 et 709-712.
Robert Locqueneux, Ampère, encyclopédiste et métaphysicien, Lille, EDP Sciences, 2008, p. 43-66.
Jean-Marc Vivenza, Les Élus coëns et le Régime Ecossais Rectifié : de l’influence de la doctrine de Martinès de Pasqually sur Jean-Baptiste Willermoz, Le Mercure Dauphinois, 2010. Catherine et Robert Amadou, Les Leçons de Lyon aux élus coëns : un cours de martinisme au XVIIIe siècle, par Louis-Claude de Saint-Martin, Jean-Jacques du Roy d’Hauterive, Jean-Baptiste Willermoz, Paris, Dervy, 1999. René Le Forestier, La Franc-maçonnerie occultiste au XVIIIe siècle et l’ordre des élus Coëns, Paris, Dorbon Aîné, 1928. Papus, L’Illuminisme en France (1767-1774) : Martines de Pasqually, sa vie, ses pratiques magiques, son œuvre, ses disciples; suivis des catéchismes des Élus Coëns d’après des documents entièrement inédits, Paris, Chamuel, 1895.
Alain Bauer, Aux origines de la franc-maçonnerie : Isaac Newton et les Newtoniens, Paris, Dervy, 2003. Pierre-Yves Beaurepaire, La République universelle des francs-maçons : de Newton à Metternich, Rennes, Ouest-France, 1999 (coll. De mémoire d’homme : l’histoire).
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Gilbert Durand fait un pas de plus en mettant en relation la découverte de l’intimité avec la résurrection16. Il rappelle à quel point la franc-maçonnerie recentre le monde à l’individu par l’effacement de la personne. Cette intimité suppose une initiation, cheminement intérieur qui passe par la mort individuelle et la résurrection collective.
Le modèle canonique est fourni par le principe mystique de l’imitatio christi (Thomas a Kempis) au fondement de la devotio moderna. Le discours social de Jésus devient spirituel par sa crucifixion, condamnation politique, et sa résurrection, miracle. Les traductions du texte latin se multiplient au cours du XIXe siècle ; les plus célèbres sont celles de Gence (1820), Genoude (1822) et Lamennais (1825). C’est pourquoi Ballanche œuvre en faveur d’une rédemption d’où sortirait cet homme universel qui « porte en lui la ressemblance du Créateur »17.
Brian Juden met justement en parallèle le mythe de l’homme universel avec
celui du « grand homme » qui cherche ses incarnations dans le siècle du romantisme18.
Ballanche n’aspire aucunement à réhabiliter la tradition comme de Maistre et Bonald, ni ne songe à sauver le peuple comme Lamennais ou les saint-simoniens, encore moins à se retirer dans la solitude pour y observer les fluctuations de son Moi comme Maine de Biran. Il espère rassembler dans une dialectique cohérente l’intelligence, l’imagination et le sentiment. Science, poésie et religion doivent lui permettre de retrouver le sentier qui conduit l’humanité fourvoyée à la Cité de Dieu, ou du moins à son faubourg, La Ville des Expiations. Cette voie doit mener à une synthèse harmonieuse, nécessaire pour obtenir la rédemption.
Se sentant investi d’une mission, il se considère providentiel :
Eh bien ! Je suis cela, je suis le solitaire de Patmos. Je me fais l’interprète des pensées et des sentiments d’une tribu dispersée dans le monde, d’une tribu qui est en ce moment l’élite du genre humain, d’une tribu en qui est le pouvoir civilisateur et qui, parce que l’avenir lui est promis, excite mille haines, mille défiances19.
La référence à Jean de Patmos, auteur de l’Apocalypse, conduit l’écrivain à s’octroyer une fonction prophétique du fait même de son activité essentiellement verbale, à cette différence près que Jean mange le livre, alors que le poète le dégurgite. Cette conception fondée sur une théologie de la Parole découle du constat que « l’homme est un être social », cette socialisation se réalisant par et dans le langage. La parole se fait écriture comme l’homme devient Histoire.20
Gilbert Durand, « Mythes et symboles de l’Intimité et le XIXe siècle », In : Coll., Intime, intimité, intimisme, dir. Pierre Reboul et Raphaël Molho, Lille, Presses universitaires du Septentrion, 1976, p. 85.
Pierre-Simon Ballanche, Essais de palingénésie sociale – tome 1 : Prolégomènes, Paris, Jules Didot, 1827, p. 101.
Brian Juden, Traditions orphiques et tendances mystiques dans le romantisme français (1800-1855), Paris, Klincksieck, 1971, p. 188.
Pierre-Simon Ballanche, Ville des Expiations, Paris, Les Presses Francaises, 1926, p. 87. Corinne Pelta, Le Romantisme libéral en France, 1815-1830 : la représentation souveraine, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 90.
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De l’autobiographie à l’historiosophie
Lyonnais, fils d’un maître imprimeur cultivé, proche des milieux maçonniques et admirateur de Rousseau, Ballanche subit dans sa jeunesse l’influence de Jean-Baptiste Willermoz. Ce dernier est le frère du chimiste et médecin Pierre-Jacques Willermoz qui collabore à l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. C’est un mystique, passionné des mystères de l’initiation ; il contribue à la création de la Grande Loge des Maîtres Réguliers de Lyon, dont il devient le Grand Maître en 1762. Il fonde en 1763, avec son frère Pierre-Jacques, un atelier nommé « Souverain Chapitre des Chevaliers de l’Aigle Noir Rose-Croix » qui s’intéresse à l’alchimie spéculative et recherchent la Science du Grand Œuvre, par laquelle l’homme retrouverait la sagesse et les pratiques du christianisme primitif. Cette réhabilitation de l’homme dans la Création, qui s’effectue par l’intermédiaire de la kénose christique, est développée dans ses écrits, notamment L’Homme-Dieu21.
La seconde grande influence reste le Philosophe Inconnu qui séjourne à Lyon de 1773 à 1778. En effet, Saint-Martin marque profondément la pensée et l’imagination de Ballanche. Au cours de son séjour chez Willermoz, il rédige son premier ouvrage dans lequel il fonde une épistémologie de l’anthropologie sur les méthodes rigoureuses adoptées par les sciences dures22. Il poursuit cette réflexion en conjuguant métaphysique, théologie, sciences physiques et sciences naturelles avec les sciences politiques, en développant une théorie générale des liens analogiques sous-tendant l’architecture de l’Univers, et en établissant l’Homme à la mesure de tout, de sorte qu’un rapport subtil relie le monde extérieur au monde intérieur, la nature à l’intimité, la société à la personne23. Ces analogies répondent à des lois impérieuses établies par Dieu qui obligent la Créature à respecter et entretenir la Création, pour lui éviter de se détruire elle-même, tout comme une mauvaise hygiène de vie détruit le corps de l’intérieur. De plus, la Révolution française est interprétée comme le châtiment provisoire de la Providence contre la décadence des trônes et des autels. Aussi n’hésite-t-il pas à aller monter la garde devant le Temple, devenu prison de la famille royale24.
Contrairement à la gnose judaïsante de son maître, Joachim Martinès de Pasqually, Saint-Martin recentre la problématique du salut gnostique sur l’intercession du Christ et le rôle salvateur de la Sophia. La sagesse humaine doit s’efforcer, pour atteindre la rédemption, d’imiter la sagesse divine qui l’inspire. Le
Jean-Baptiste Willermoz, L’Homme-Dieu: traité des deux natures, suivi de : Le Mystère de la Trinité selon Louis-Claude de Saint-Martin, Le Tremblay, Diffusion Rosicrucienne, 2009. Louis-Claude de Saint-Martin, Des erreurs et de la vérité, ou les Hommes rappelés aux principes de la science : ouvrage dans lequel, en faisant remarquer aux Observateurs l’incertitude de leurs Recherches, & leurs Méprises continuelles, on leur indique la route qu’ils auroient dû suivre, pour acquérir l’évidence Physique sur l’origine du bien & du mal, sur l’Homme, sur la Nature matérielle, la Nature immatérielle, & la Nature sacrée, sur les bases des Gouvernements politiques, sur l’Autorité des Souverains, sur la Justice Civile & Criminelle, sur les Sciences, les Langues, & les Arts, Édimbourg [i.e. Lyon], s.e., 1775 et Tableau naturel des rapports qui existent entre Dieu, l’Homme et l’Univers, Édimbourg, [s.e.], 1782, 2 vol.
Louis-Claude de Saint-Martin, Le Tableau naturel des rapports qui existent entre Dieu, l’Homme et l’Univers, Édimbourg ; Lyon, s.e. 1783.
Louis-Claude de Saint-Martin, Lettre à un ami ou Considérations politiques, philosophiques, et religieuses sur la Révolution française (1795), dir. Nicole Jacques-Lefèvre, Grenoble, Jérôme Million, 2005.
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Christ rend possible cette imitation. Tout homme est donc un Christ en puissance, à des degrés divers. Toutefois cette christologie gnostique frôle le blasphème. Si elle conçoit le Christ comme la référence, axe de réalisation essentielle de la vie humaine et de ses aptitudes, elle ne le perçoit plus comme une borne ou un horizon indépassable. Après le Christ, l’évolution spirituelle des hommes se poursuit ; le Christ nous montre des chemins qui restent à explorer. Le désir sublimé, désir de Dieu, rend possible ce dynamisme spirituel. La sophiologie25 qui réhabilite la force du désir et sa productivité créatrice éloigne Saint-Martin des doctrines du renoncement au monde et donne à sa gnose une vitalité et un engagement (affectif) dans la vie active, notamment sociale et politique, engagement dont les sciences traditionnelles sont dépourvues26.
L’œuvre de Ballanche tente d’abord d’agir sur les esprits troublés par un quart de siècle de révolution. L’amour et la souffrance, intimement liés depuis la Chute du Paradis, et au fondement de la connaissance, forment les principes du mouvement animant le monde et son Histoire. Le sentiment est le moteur de l’humanité. À ce titre, Ballanche aurait inspiré le Génie du christianisme (1802) en démontrant que le sentiment est la source principale des arts et de la morale. Il évoque longuement son expérience lyonnaise du siège et de la Terreur27, ce qui le conduit à répudier Rousseau qui, faute de s’en tenir au sentiment, « voulait la sanction de cette raison orgueilleuse, qui se révoltait de son insuffisance et de sa nullité »28. Pour lui, le sentiment pur est le désir divorcé du réel, privé de son objet par la Chute29 et aspirant seulement à retourner dans la patrie céleste30. Cette fatale séparation précipite l’humanité dans la mortalité et la douleur de l’enfantement. Toute son Antigone (1814), la première de ses compositions proprement littéraires, met en scène les thèmes du sacrifice, de l’impossible bonheur, de la lointaine consolation. Antigone représente explicitement Mme Julie Récamier dont il tombe éperdument amoureux et avec qui il correspond intensément31, allant jusqu’à se peindre sous les traits de Hémon32. Bénichou reconnaît que « [Ballanche] mêlait ainsi curieusement, en un spiritualisme d’accent funèbre, l’expérience de sa propre infortune sentimentale et les leçons du récent cataclysme social »33. D’ailleurs dans ses Fragments, il confie ses amours malheureuses avec Bertille d’Avèze :
La sophiologie est un développement philosophique et théologique chrétien, concernant la Sagesse
de Dieu elle-même divinisée, qui prend sa source dans la tradition religieuse hellénistique, le
platonisme et certaines formes de gnosticisme.
Antoine Faivre, Accès de l’ésotérisme occidental, ouvr. cité, p. 317-323.
Pierre-Simon Ballanche, Du sentiment considéré dans ses rapports avec la littérature et les arts,
Lyon, Ballanche et Barret, An IX [1801], p. 104-107 et 284-286.
Pierre-Simon Ballanche, Du sentiment considéré dans ses rapports avec la littérature et les arts,
ouvr. cit., p. 58.
Pierre-Simon Ballanche, Du sentiment considéré dans ses rapports avec la littérature et les arts,
ouvr. cit., p. 71.
Pierre-Simon Ballanche, Du sentiment considéré dans ses rapports avec la littérature et les arts,
ouvr. cit., p. 111-112.
Lettres de Ballanche à Madame Récamier: 1812-1845, dir. Agnès Kettler, Paris, Honoré Champion, 1996.
Joseph Buche, L’École mystique de Lyon, 1776-1847: le grand Ampère, Ballanche, Cl.-Julien Bredin, Victor de Laprade, Blanc Saint-Bonnet, Paul Chenavard, Paris, Félix Alcan, 1935, p. 114-116. Paul Bénichou, Le Sacre de l’écrivain, ouvr. cit., p. 153.
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Nous serions bien moins étonnés de souffrir, si nous savions combien la douleur est plus adaptée à notre nature que le plaisir. L’homme à qui tout succède selon ses vœux oublie de vivre. La douleur seule compte dans la vie, et il n’y a rien de réel que les larmes.34
Ce dolorisme inspire notamment avec beaucoup de vigueur un autre Lyonnais, Antoine Blanc de Saint-Bonnet35. La douleur découle simplement de la nécessité sociale imposée par la Volonté divine, car l’homme esseulé est condamné à la dégénération et au dépérissement spirituel.
La Chute s’est réalisée dans la douleur (Gn 3,15-19) ; dès lors la réconciliation doit également passer par elle. Le mal devient alors la voie par laquelle le monde surnaturel, éminemment bon, entre en rapport avec le monde naturel : la douleur psychique et physique découle de l’emploi des sens sur la matière.
Dieu qui a voulu que les hommes vécussent en société, et qui a voulu, en même temps, que le genre humain fit un seul tout, a employé divers moyens pour remplir et voiler ce but. Parmi ces moyens on peut considérer la guerre et le commerce comme les plus puissants. Il fait beau déclamer contre les conquérants qui jouent de la vie des hommes, et contre ces marchands avides qui vont tenter la fortune dans mille climats divers. L’état social est un état de souffrance. L’homme doit manger un pain trempé de ses sueurs. Il lui faut des périls, de la gloire, de nobles malheurs. Des peuples ont été civilisés par les sons de la lyre, d’autres par le glaive du guerrier, d’autres par les relations du commerce. La terre est fécondée par des fleuves tranquilles ou par des torrents impétueux. Les orages ne sont pas plus inutiles que les douces ondées. Ce qu’il y a de plus nécessaire c’est que l’espèce humaine soit honorée et perfectionnée. La résignation du captif dans les fers, le courage du guerrier sur un champ de bataille, sont des faits qui honorent l’homme aussi bien que l’intelligence qui le dirige sur les mers. Un ancien a dit que le juste aux prises avec l’adversité était un beau spectacle pour les dieux.36
C’est même toute une anthropologie qui est envisagée dans son rapport sociologique : le corps organique est à l’homme ce que le corps social est à l’individu. La chute de l’Un dans le Multiple – de l’aristocratie dans la tyrannie aux livres VIII et IX de La République de Platon – abrite l’origine mystérieuse de la souffrance, qui est autant un mal qu’un bien en ce qu’elle trace la voie vers la réconciliation personnelle, de la créature avec son Créateur, et nationale, du citoyen avec l’État.
Les inconvénients de la société, qui à toutes les époques blessent toujours plus ou moins certains hommes, se font bien plus sentir, ou deviennent bien plus généraux, dans les temps de
34  Pierre-Simon Ballanche, Fragments, in : Œuvres de Ballanche : Antigone L’Homme sans nom
Élégie – Fragments
, Paris ; Genève, J. Barbezat, 1830, p. 476.
35  Antoine Blanc de Saint-Bonnet, De la douleur, précédé des Temps présents, Lyon, Giberton et
Brun ; Langlois, 1849.
36  Pierre-Simon Ballanche, Essai sur les institutions sociales, [1re éd. 1818], Paris, Fayard, 1991, p.
196.
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De l’autobiographie à l’historiosophie Ballanche et la figure romantique de l’homme universel révolution, ou dans les temps qui précèdent les révolutions. Il semble à ces esprits inquiets que hors du cercle social ils se trouveraient plus à l’aise. On ne fait pas attention que la vie sociale est un état de souffrance, comme la vie humaine en général. Ainsi je ne prétends pas nier cet état de souffrance et de combat qui a enfanté et les doctrines perverses de Hobbes, et les plaintes de Rousseau, et auparavant les rêveries des poètes sur l’âge d’or ; mais cet état de souffrance tient à notre nature même, qui est tout souffrance. Il ne s’agit plus de discuter les avantages et les inconvénients de l’état social, puisque l’homme ne peut exister que là. C’est comme si l’on discutait les avantages ou les inconvénients de l’atmosphère qui enveloppe notre globe.
N’oublions jamais que la société n’étant point un état de choix, l’homme ne consent point à aliéner une partie de sa liberté pour jouir de certaines prérogatives ou certains biens attachés à la société. L’état social, en un mot, est une des limites naturelles assignées par Dieu même à la liberté de l’homme.37
Dans le jeu analogique des rapports, celui de l’individu à la société en est le terme ultime, l’aboutissement le plus concret d’une chaîne qui remonte à la Parole proférée par Dieu dans l’Univers. Elle se perpétue à travers les traditions orales et l’écriture, puis l’Esprit et la Lettre et enfin le Moi et le monde, l’homme et l’Histoire, l’auteur et son œuvre. Le genre autobiographique, instituée par Rousseau avec Les Confessions (posthume 1782) pour s’assurer sa propre pérennité dans l’imaginaire collectif à partir justement du détournement de l’apologie de Saint-Augustin, fait école dans le romantisme, de sorte que l’histoire individuelle devient modèle sociétal et témoignage historique : reflet et produit de son époque, l’homme n’est que la somme métonymique de son entourage, de son milieu, de son temps et de l’espace qu’il occupe38. Ballanche, en fin connaisseur de la philosophie religieuse, élève l’autobiographie à l’historiosophie, de sorte que l’homme n’est plus qu’une étincelle divine de l’Âme du Monde39 des romantiques, telle que Schelling, le philosophe du Moi par excellence40, l’introduit dans l’idéalisme allemand en 1798 et la propage par le Groupe de Coppet41. À sa suite, Ballanche introduit justement une théorie évolutionniste de l’histoire des religions42. Les arguments scientifiques sont employés pour une démonstration mystique, ouvrant ainsi l’ère à tout un courant théosophique qui caractérise alors le romantisme social. Or Hegel reconnaît, en 1805, au passage sous sa fenêtre des troupes napoléoniennes dans Iéna, l’incarnation du « grand homme », celui qui donne à l'histoire universelle son élan. Quant à Ballanche, il brosse un portrait désapprobateur de l’Empereur, à partir des esquisses laissés par Antoine Fabre
d’Olivet43 :
Pierre-Simon Ballanche, Essai sur les institutions sociales, ouvr. cit., p. 198-199.
Auguste Théodore Barchou de Pohen, « Essai de formule générale de l’histoire de l’humanité d’après les idées de M. Ballanche », Revue des Deux Mondes (1831), p. 410-453.
F.W.J. Schelling, Von der Weltseele: eine Hypothese der höhern Physik zur Erklärung des allgemeinen Organismus, Hamburg, F. Perthes, 1798.
F.W.J. Schelling, Vom Ich als Prinzip der Philosophie oder über das Unbedingte im menschlichen Wissen, Tubingen, Jakob Friedrich Heerbrandt, 1795.
Jean Gibelin, L’Esthétique de Schelling et l’Allemagne de Mme de Staël, Genève, Slatkine, 1975. Arthur McCalla, « Evolutionism and early Nineteenth-century histories of religions », Religion 28 No1 (1998), p. 29-40.
Antoine Fabre d’Olivet, État social de l’homme ; ou vues philosophiques sur l’histoire du genre humain – tome 2, Paris, J.L.J. Brière, 1822, p. 329-336.
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Et un homme antique s’élance sur la scène du monde.
Il reconstruit l’empire de Charlemagne, et il veut faire rétrograder l’idée comme il a fait rétrograder la pensée du pouvoir.
Et les batailles qu’il livre sont des batailles de géants.
Et l’esprit de la nation française se retire de celui qui a voulu ressembler à Julien.
Et deux fois il perd l’empire, et deux fois sa chute ébranle le monde.
Il meurt sur un rocher perdu dans les mers immenses de l’Atlantique, tombeau digne d’un Titan !
Et l’exil a ramené l’affranchissement par l’expiation.
Et le principe volitif et le principe fatal recommencent cette lutte qui avait été suspendue par le captif de Sainte-Hélène, alors qu’il régnait sur les peuples et sur les rois.44
Poétique du politique
La Parole est au fondement de la Création. Elle est d’essence divine et opératoire. Dire c’est être (Jn 1,1). Or l’homme n’est qu’une image mal dégrossie de la divinité et le pouvoir de sa parole en est considérablement diminué. Pourtant, sa langue n’est pas complètement dépourvue d’accents divins.
Il fut un temps […] où la parole n’était pas seulement le signe de l’idée, mais était, en quelque sorte, l’idée d’elle-même. Il était tout simple que la parole traditionnelle eût la puissance qui lui a été attribuée, et régnât toute seule. C’était plus que la voix des siècles, puisque c’était la voix de Dieu même. Voilà pourquoi la première loi de Lycurgue fut une défense d’écrire les lois. On fixe assez généralement l’ère des lois écrites, chez les Grecs, à Zaleucus, postérieur, comme on sait, de plusieurs siècles à Minos. La musique, dans ce premier âge, fut une doctrine tout entière, c’était l’ensemble même des lois sociales. Ajouter une corde à la lyre devait être un événement considérable. Et Porphyre remarque très bien que tant que les hommes furent heureux ils n’eurent pas de lois écrites.45
Le progrès de l’écriture est présenté comme un mal dont doit sortir un bien. L’écriture fait violence à la parole en l’enfermant dans une forme plus figée. Dieu a donné l’infini de la parole à sa créature, l’homme a limité la parole pour mieux se l’approprier. En établissant le lien entre le langage et la société à travers la métaphore de l’harmonie musicale, Ballanche fait référence à cet autre grand initié qu’est Antoine Fabre d’Olivet, auteur posthume de La Musique expliquée comme science et comme art et considérée dans ses rapports analogiques avec les mystères religieux, la mythologie ancienne et l’histoire de la terre.
Cependant, comme il est facile de le sentir, la parole traditionnelle ne s’est pas retirée des institutions sociales au moment même où la langue écrite a paru, car toutes les révolutions sont successives et graduelles. Ainsi la parole écrite n’a servi longtemps qu’à constater les résultats ou les conséquences de la parole traditionnelle. Alors il lui restait une sorte d’influence analogue, et comme un souvenir de ce qu’elle fut avant de s’être à demi matérialisée par l’écriture. Ce qu’il y avait d’immédiat dans cette première transmission contribuait à lui conserver quelque chose de son énergie primitive. De plus, les deux paroles ont longtemps régné en concurrence l’une avec l’autre. Il a passé alors pour constant, et il a été constant en effet, que la loi écrite, ou n’était que la loi traditionnelle constatée, ou n’était qu’une
Pierre-Simon Ballanche, Vision d’Hébal : chef d’un clan écossais, ouvr. cit., p. 94-95. Pierre-Simon Ballanche, Essai sur les institutions sociales, ouvr. cit., p. 139-140.
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explication, un commentaire de cette loi. Dans les deux cas, la parole traditionnelle subsistait comme lumière pour éclairer continuellement la parole écrite et en vérifier le sens.46
Or l’Écriture Sainte, retranscription et traduction de la Bible sacrée, de cette collection des deux Testaments comme héritage matériel et commémoration spirituelle et orale, est brusquement renversée par le Code Napoléon de 1807, et fait des émules. En dépit de la Restauration et du rétablissement de l’Église dans ses droits et pouvoirs, la sécularisation est un processus que rien, désormais, ne saurait arrêter.
Nous commençons une nouvelle ère, celle des lois écrites sans l’intervention de la parole traditionnelle pour en expliquer le sens. C’est la lettre qui remplace l’esprit. Ceci est un fait que je raconte, ce n’est point un blâme ni un regret que j’exprime. Je sais tout ce qu’il y a d’inévitable dans la succession des idées, et, j’oserais le dire, tout ce qu’il y a de fatal dans les progrès de l’esprit humain.47
Lui, fils d’imprimeur, pousse son platonisme à l’extrême, et finit par condamner la fallacieuse liberté du livre, qui manipule plus qu’il ne libère et efface plus qu’il ne conserve.
Je crois que l’on s’est beaucoup trompé lorsque l’on a raisonné sur l’influence de l’imprimerie. On croit, en général, que cette influence a été plus grande qu’elle ne l’a été en effet ; ou peut-être a-t-elle été différente. Je ne sais pas jusqu’à quel point elle a accéléré le mouvement des esprits ; mais si elle l’a accéléré, ce n’est que par une sorte de puissance compressive. La pensée a voulu réagir contre de nouvelles entraves qui lui étaient imposées. Je contesterais même à l’imprimerie la prérogative d’art conservateur, qui lui est cependant si unanimement attribuée. Les livres tuent les livres bien plus sûrement que les incendies des bibliothèques. Les lettres sont devenues une profession, et la pensée un commerce. Nous avons vu, de nos jours, ce que l’on peut faire avec et contre l’imprimerie, lorsqu’un ministre de la police étend un œil inquisiteur sur toute la scène où s’exerce le mouvement des idées, et peut mettre la pensée en état de blocus continental.48
La fonction propre de la littérature, de celle qu’il pratique, de celle que la religion aux institutions trop surannées et gangrénées par le jésuitisme n’assume plus, consiste en une médiation entre le passé et le futur, une médiation sacerdotale qui dépasse en toute révérence et pleine indépendance, l’enseignement traditionnel. Le changement ne peut faire l’économie de la conservation et de la permanence, comme la différence a besoin d’identité. C’est pourquoi la doctrine de la Chute reste solidaire d’une doctrine de la réhabilitation du genre humain. À cet égard, Ballanche témoigne de bien plus de tolérance que Joseph de Maistre, avec qui il ne cesse de dialoguer :
Il ne peut y avoir expiation par le châtiment que lorsque le coupable lui-même acquiesce au châtiment. Dieu sans doute veut qu’il en soit ainsi, pour sa propre justice, car il veut le progrès. Si le coupable peut quelquefois ici-bas chercher à s’y soustraire, ailleurs il s’y soumet. Plusieurs ont eu le tort de croire à l’efficacité du châtiment comme châtiment : la terreur de la
46 Pierre-Simon Ballanche, Essai sur les institutions sociales, ouvr. cit., p. 140-141.
47 Pierre-Simon Ballanche, Essai sur les institutions sociales, ouvr. cit., p. 141-142.
48 Pierre-Simon Ballanche, Essai sur les institutions sociales, ouvr. cit., p. 142.
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déchéance leur avait caché que la peine du crime ne peut effacer le crime qu’à la condition que
le criminel accepte la peine. M. de Maistre est tombé dans cette erreur. Aurait-il donc mal
interprété le dogme du Médiateur, tel que l’a proclamé la foi chrétienne ?
[N’]oublions pas que le dogme de la déchéance ne doit point se séparer de celui de la réhabilitation, et que le Médiateur s’est revêtu de la nature humaine pour que la nature humaine consentit à la réhabilitation.49
Ainsi l’histoire de l’humanité commence-t-elle par une quête de réhabilitation prônée par le martinisme, notamment par son fondateur, Martines de Pasqually50. Cette Histoire porte une sagesse qui permet à l’homme de se comprendre :
Nos sens nous trompent tout en nous révélant le monde extérieur. Notre entendement est vicié, notre imagination troublée ou corrompue. Un des grands problèmes de l’homme pour l’homme a toujours été de se connaître lui-même.
La difficulté que nous avons de nous connaître nous-mêmes indique que notre évolution est loin d’être pleinement accomplie, que nous ne sommes pas entièrement dégagés de toute panthéistique, que nous ne sommes pas en possession certaine de la conscience et de la responsabilité, et que nous devons toujours travailler à deviner la grande énigme de nous-mêmes, qui est l’énigme de l’univers.51
La Nature est la matrice matérielle de l’Histoire humaine. Ballanche trouve dans le monde physique les mêmes règles qui régissent le monde métaphysique. Il cite abondamment Roger Bacon, Francis Bacon et Giambattista Vico qui pensent les sciences à la fois dans leur globalité et leur complémentarité, capables de retrouver au-delà des faits les lois communes par analogies. Toutefois sa conception de la réintégration trouve sa preuve matérielle dans les travaux empruntés au Genevois Charles Bonnet.
Un savant laborieux et modeste, dont le nom est resté cher à toutes les âmes religieuses, et qui a justement été appelé le bramine de l’histoire naturelle, Charles Bonnet, a écrit un traité pour montrer comment, dès le temps de son existence passagère, l’être mortel peut manifester en lui l’être immortel, comment l’être impérissable et incorruptible est contenu dans l’être corruptible et périssable ; et, voulant que le titre seul du traité qu’il méditait représentât tout de suite l’idée de cette glorieuse évolution, de cette grande métamorphose de l’homme, il a cru devoir nommer son livre La Palingénésie philosophique.
Ce que Charles Bonnet a essayé pour l’homme, je l’ai tenté pour l’homme collectif : l’ouvrage que j’imprime aujourd’hui a été écrit tout entier dans cette vue. Ainsi les divers essais dont il se compose, très distincts quoique très analogues entre eux, ont été inspirés par la même pensée générale, celle de la condition imposée à l’homme de vivre en société, de n’être que par elle ; enfin ils sont également consacrés à retracer, sous des formes variées et quelquefois symboliques, la peinture de toute transformation des sociétés humaines.52
Bonnet se passionne pour la reproduction des pucerons et obtient onze générations successives sans la moindre fécondation, démontrant de la sorte la parthénogenèse. Il étudie également la respiration des chenilles et des papillons,
Pierre-Simon Ballanche, Prolégomènes [1re éd.1827], In : Œuvres tome 3, Paris, J. Barbezat, 1830, p. 219.
Joaquin Martines de Pasqually, Traité sur la réintégration des êtres, Le Tremblay, Diffusion Rosicrucienne, 2003.
Pierre-Simon Ballanche, Essais de palingénésie sociale, In : Œuvres – tome 3, ouvr. cit., p. 74. Pierre-Simon Ballanche, Essais de palingénésie sociale, In : Œuvres – tome 3, ouvr. cit., p. 11-12.
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l’anatomie du tænia, notamment sa faculté de reconstituer ses organes. Ces résultats lui ouvrent les portes en 1743 de la Royal Society. Cependant ses recherches sont brusquement entravées par la cécité qui l’oblige à se détourner du monde extérieur afin d’explorer le monde intérieur. En effet, ne pouvant plus se servir d’un microscope, il s’oriente vers la biologie théorique et compose plusieurs écrits philosophiques53. Ainsi, en 1762, il publie ses Considérations sur les corps organisés où il expose sa théorie sur la préexistence des germes : la production d’un nouvel être vivant serait due au développement d’un germe préexistant. Cette théorie permet d’expliquer l’apparition des êtres sans contredire la Bible, tous les germes ayant été créés lors de la Création. Toutefois son œuvre la plus ambitieuse reste sa Palingénésie philosophique dans laquelle il poursuit une idée de Leibniz54 : les âmes des êtres dotés d’un cerveau, humains et animaux, seraient immortelles. Dans ce vaste essai, il brasse les résultats de diverses disciplines pour décrire la vie sur Terre et son futur. Il s’attache à montrer que tous les êtres forment une échelle ininterrompue, car provenant de germes préexistants, et accorde une grande part au fonctionnement du cerveau et à l’organisation du vivant. Protestant et profondément religieux, il tente d’établir la nécessité d’une autre vie, non seulement pour l’homme, mais aussi pour les animaux.
Ballanche greffe sa lecture de Vico au système de Bonnet. Vico confirme l’idée d’un recommencement perpétuel et de la perfectibilité sous l’influence de la Providence. Jules Michelet traduit en 1827 la Science Nouvelle sous le titre Principes de la philosophie de l’histoire.55 Vico y détermine justement les lois naturelles des sociétés tout en maintenant l’origine surnaturelle du christianisme. Ballanche intègre la religion dans l’histoire de l’humanité afin d’en faire une « épopée de la pensée ».
Ainsi « l’homme universel ou général » est la somme de tous les hommes qui l’ont précédé. Il est la somme de son espèce. Ballanche revient à plusieurs reprises sur sa définition en ce que cet homme universel devient homme providentiel, attendu comme le messie, l’Adam Kadmon de la réconciliation et de la réhabilitation de l’homme56.
Je devins cet homme par la puissance de sympathie, par la réalisation d’une synthèse primitive ; je devins cet homme à qui la création tout entière apparut, une première fois, comme au sein d’un rêve magique. Je prophétisai donc, et je donnai un nom à toutes choses, et ce nom était l’essence de cette chose.
Je fus quelques instants cet homme, dont les facultés existaient, mais endormies, puis se réveillèrent, puis participèrent à la création.
Charles Bonnet : Essai de psychologie, ou considérations sur les opérations de l’âme sur l’habitude et sur l’éducation : auxquelles on a ajouté des principes philosophiques sur la cause première et sur son effet, Londres, s.e., 1754 et Essai analytique sur les facultés de l’âme, Copenhague, Les Frères C. et A. Philibert, 1760.
Charles Bonnet, La Palingénésie philosophique ou Idées sur l’état passé et sur l’état futur des êtres vivants, ouvrage destiné à servir de supplément aux derniers écrits de l’auteur et qui contient principalement le précis de ses recherches sur le christianisme, Amsterdam, M.-M. Rey, 1769.
Giambattista Vico, Œuvres choisies : contenant ses mémoires, écrits par lui-même, la Science Nouvelle, les opuscules, lettres, etc., dir. Jules Michelet, Paris, L. Hachette, 1835. Auguste Viatte, Les Sources occultes du romantisme : Illuminisme – théosophie 1770-1820 – tome 2 : La Génération de l’Empire [1re éd. 1928], Genève, Slatkine, 2009, p. 221.
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Je fus cet homme universel, qui ayant saisi la responsabilité de ses pensées et de ses actes, pécha et fut condamné.
Et le décret qui le condamna fut en même temps un décret de condescendance, puisqu’il était le moyen de reconquérir l’être perdu.
Je devins, après un malheur qui me paraissait irréparable, cet homme universel dispersé par la génération ; je me sentis successif, de stable et de permanent que j’aurais dû être […].57
Même si la Nature est la superstructure externe qui fournit les lois au temps et à l’espace, l’Histoire humaine se décline pourtant dans une lutte violente contre elle. Le progrès humain suppose le dépassement de sa propre nature, permettant alors de mieux saisir qui est l’homme et quels sont ses objectifs. C’est précisément son inscription sociale qui lui permet de développer une culture régulée par les lois naturelles des attractions et répulsions, comme on en retrouve les traces chez Charles Fourier58.
L’homme, hors de la société, n’est, pour ainsi dire, qu’en puissance d’être ; il n’est progressif et perfectible que par la société.
L’homme est destiné à lutter contre les forces de la nature, à les dompter, à les vaincre : si, durant cette lutte pénible, il veut prendre quelque repos, c’est lui qui est dompté, qui est vaincu ; il cesse en quelque sorte d’être une créature intelligente et morale.
Cette lutte contre les forces de la nature est une épreuve et un emblème ; le véritable combat, le combat définitif, est une lutte morale.
Enfin, la providence de Dieu, qui n’a jamais cessé de veiller sur les destinés humaines, a voulu qu’elles fussent une suite d’initiations mystérieuses, et pénibles, pour qu’elles fussent méritoires comme foi et comme labeur.
Tels sont les principes dont je désire établir la conviction intime, affermir et fortifier le sentiment profond. En un mot, le haut domaine de la Providence sur les affaires humaines, sans que nous ne cessions d’agir dans une sphère de liberté ; l’empire de lois invariables régissant éternellement, aussi bien que le monde physique, le monde moral, et même le monde civil et politique ; le perfectionnement successif, l’épreuve selon les temps et les lieux, et toujours l’expiation ; l’homme se faisant lui-même, dans son activité sociale comme dans son activité individuelle : n’est-ce point ainsi que l’on peut caractériser la religion générale du genre humain, dont les dogmes plus ou moins formels reposent dans toutes les croyances ?59
57 Pierre-Simon Ballanche, Essai de palingénésie sociale – tome 2 : Orphée, Paris, J. Barbezat, 1830,
p. 436.
58 Charles Fourier, Théorie des quatre mouvements, in : Œuvres complètes – tome 1, Paris, Société
pour la propagation et la réalisation de la théorie de Fourier, 1841, p. 460.
59 Pierre-Simon Ballanche, Essais de palingénésie sociale, In : Œuvres – tome 3, ouvr. cit., p. 12-13.
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Dès lors, « les progrès de la société sont naturels », et le premier devoir de celui qui la gouverne est de se mettre à la tête de ce mouvement, d’employer ses efforts à bien le diriger sans jamais l’arrêter. En effet, la société ne peut supporter longtemps la présence de ce qui n’est plus en harmonie avec son existence actuelle et elle élimine ce qui la retient. Comme le corps repousse tout aliment qui n’est pas assimilable, ainsi rejette-t-elle ce qui met un frein à son progrès. C’est Dieu qui lui a donné cette impulsion de broyer tout ce qui la gêne. Car le progrès est l’expression sécularisée de la Providence60.
Ballanche soutient que lorsqu’un gouvernement obéit ainsi à « toutes les transformations que subissent les principes sociaux suivant les différentes phases de la civilisation », il représente la société dont il est appelé à diriger les destinées : c’est dans cette parfaite correspondance, entre la conduite d’un chef d’État et les aspirations sociales, que se trouve à la fois « le signe et le but d’une véritable mission ». Quoique par le seul fait de sa dignité le souverain soit élevé au-dessus du peuple, « il faut qu’il soit dans l’esprit de ce peuple », sinon il ne pourrait y avoir obéissance ni soumission mais seulement servitude. Hérédité et légitimité se distinguent donc bien, la seconde conduisant au droit divin.
C’est précisément dans l’intuition que l’homme politique puise sa force, au même titre que le poète61. Cette intuition, au cœur de l’âme de chacun, résonne avec l’Âme du monde et correspond à l’inspiration des prophètes. La démarche poétique s’inscrit au fond de l’acte politique comme principe mystique. La poésie est considérée comme un mode de connaissance privilégié de Dieu et du monde. La familiarité des symboles couronne le poète que parce qu’elle suppose en lui, par-delà l’intelligence des rapports de l’univers, une intuition de la totalité de l’être, qui est comme Orphée, le titre le plus élevé autorisant l’accès au divin par une sensibilité subtile et certaine et permettant d’y puiser la source vive de son autorité.
La société est alors l’œuvre de son gouvernement, comme le poème est le produit du travail du poète inspiré. Il n’y a pas une voix, mais des voix qui r(ai/é)sonnent. C’est pourquoi Ballanche considère que le gouvernement constitutionnel répond à merveille à l’essence intime du corps social et propage cette idée autour de lui62.
La Chambre des députés représente les opinions dont la marche progresse toujours rapidement ; la Chambre des pairs, les mœurs qui évoluent plus lentement, sa vocation étant de modérer le mouvement progressif de la première par attractions et répulsions, « de lui imprimer une sage et prudente direction, c’est le pendule régulateur du mécanisme constitutionnel »63. Un pareil gouvernement se définirait comme « un Gouvernement fondé sur l’opinion ; car tout cet appareil, si simple et si compliqué en même temps, n’est […] qu’une méthode ingénieuse pour consulter à chaque instant l’opinion et, néanmoins, pour la consulter sans s’y
Pierre Lasserre, Le Romantisme français : essai sur la révolution dans les sentiments et dans les
idées du XIXe siècle, Paris, Mercure de France, 1908, p. 417-432.
A.-J.-L. Busst, Ballanche et le poète voyant, Romantisme 5 (1972), p. 84-101.
Jules Lechevalier, De l’avenir de la monarchie-représentative en France, Paris, Firmin Didot, 1845.
Pierre-Simon Ballanche, Le Vieillard et le Jeune Homme [1re éd. 1819], in : Œuvres– tome 2, Genève, J. Barbezat, 1830, p. 425.
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asservir aveuglément, pour la dégager des passions qui peuvent l’obscurcir, pour la diriger elle-même, pour n’en recevoir des avertissements que lorsqu’elle a été formée et mûrie, soit par les discussions des Chambres, soit par des libertés de la presse. »64 L’unité royale ne peut alors se retrouver que dans l’harmonie de la diversité des noblesses de cœur, des hommes de bonne volonté, des savants humanistes.
Le roi étant en dernier résultat l’interprète légal et l’expression même de la volonté générale, étant par sa nature et sa situation le représentant immuable et sacré de la société, doit être investi de tous les moyens qui peuvent lui révéler les besoins de cette société, qui peuvent le mettre en contact avec elle. Le roi, c’est la volonté ; les Chambres sont la raison du vouloir.65
Pour Ballanche, la royauté n’est pas héréditaire mais légitimée. La vie du roi doit être consacrée au gouvernement afin d’être sacrée par la Providence et élevée en destin national. Le souverain devient un homme universel ou général en ce qu’il reflète l’humanité capable d’expier ses péchés pour se spiritualiser. Cette spiritualisation le conduit à transformer l’image christique qu’il porte en celle d’un Adam réconcilié. La royauté spirituelle ainsi devenue universelle engage la volonté royale à répondre aux besoins nationaux. C’est pourquoi le roi se distingue dans la foule par son élection naturelle : il est celui qui, dépourvu de toute prétention personnelle, se rend disponible pour répondre à l’attente générale. Tel est le prix de la charge politique : sacrifier sa vie personnelle au profit de la collectivité.
Dans cette optique, Ballanche a donc consacré sa vie à son œuvre, méditant sur la possibilité de réhabiliter l’homme dans l’amour de Dieu et de résoudre l’énigme de la théodicée qui aboutit au « scandale » de la Révolution. Le politique est nécessairement lié au destin de chacun des membres de la société, et ce dans un rapport mystique et naturel où l’Histoire humaine répond aux lois de la Nature.
Poétique et politique se déclinent alors ensemble. L’expiation et la douleur sont indispensables, même au plus juste des hommes, pour gagner, tel Job, l’estime de Dieu. Car la créature doit apprendre à s’humilier face à son Créateur, et tel est le prix de sa gloire. Gouverner est une onction qui ne revient qu’à celui qui est prêt à se consacrer entièrement aux autres, invitant par son exemple à transformer la société humaine en un Christ rédempteur.
Bibliographie
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Écho des études romanes
Revue semestrielle de linguistique et littératures romanes
Publié par l’Institut d’études romanes
de la Faculté des Lettres
de l’Université de Bohême du Sud,
České Budějovice
ISSN : 1801-0865 (Print) 1804-8358 (Online)
L’article qui précède a été téléchargé à partir du site officiel de la revue:
Numéro du volume :            Vol. IX / Num. 1
2013

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